Les réverbères : arts vivants

Improviser un film en 1h30, un sacré défi !

Les Risiens faisaient halte à Hermance avec Histoires filantes, un concept consistant à créer un film, sur scène, en 1h30, à partir de trois éléments choisis par le public. Un défi relevé avec brio par les 24 jeunes comédien·ne·s de la troupe.

Le concept a été imaginé par Guillaume Canous : dans le foyer du théâtre – ici la salle communale d’Hermance – trois synopsis sont proposés au public, qui vote pour celui qu’il préfère. Deux autres contraintes, elles aussi sélectionnées par les spectateur·ice·s, seront ajoutées : les villes où se déroulera l’histoire et une quête secondaire qui doit être résolue. Sur scène, les comédien·ne·s se mettent d’abord en jambes, chauffant par la même occasion le public, avec des publicités et bandes-annonces. Comme au cinéma. Pendant ce temps, iels tirent au sort qui jouera les rôles principaux et secondaires. La moitié de la troupe parlera – on inverse le procédé pour l’autre soirée – pendant que les douze autres comédien·ne·s constitueront le décor et les figurants du film. Pour la vingtième représentation, le synopsis reprenait celui de Freaky Friday, ou Dans la peau de ma mère : Tess Coleman, une veuve qui s’approche de la cinquantaine, veut se remarier. Mais l’annonce n’est pas du goût de sa fille, Anna, 15 ans, alors que des tensions existent déjà entre elles. Au restaurant, alors qu’elles tentent de se réconcilier, un dessert les fait échanger leurs corps… En plus de cela, et c’est la quête ajoutée à cette histoire déjà compliqué, un tremblement de terre a lieu, inversant tout sur Terre. Un problème qu’il va falloir régler, en voyageant du Caire à Stockholm. Quand on vous parlait d’un défi…

Se répartir les rôles pour créer un scénario cohérent

Au-delà des rôles principaux et secondaires, il faut encore choisir qui joue qui : des décisions à prendre rapidement, alors que la troupe ne découvre le synopsis et ses contraintes qu’à la fin des bandes-annonces. Bien sûr, il y a certaines évidences, comme les rôles de Tess, Anna et du beau-père. Mais quid des autres comédiens qui ont tiré au sort un rôle principal ? C’est là que l’enjeu de la quête secondaire revêt tout son intérêt et qu’on se retrouve avec deux scientifiques spécialisés en sismologie-sismothermie-sismophysique (et « sismolabite » ajoutera leur stagiaire à l’humour douteux). Encore faut-il parvenir à une cohérence d’ensemble. Le choix d’un synopsis et d’une quête amenant tous deux une inversion ne facilite bien sûr pas les choses ce soir-là.

Le choix du lieu permet de résoudre en partie ce questionnement : le début de l’action devant prendre place au Caire, il était tout naturel de faire un lien avec le pyramides et Toutankhamon. D’où l’accent choisi par les deux scientifiques – d’aucuns auraient pu s’en offusquer, mais c’est si bien fait et avec tellement d’humour qu’on leur pardonne aisément. Ajoutons à cela que le stagiaire vient de Rome et que c’est finalement lui qui est le plus moqué, avec son intelligence qu’on qualifiera de limitée. On a d’ailleurs un vrai coup de cœur pour ce personnage et son potentiel comique, et ce bien que les tremblement de terre inversant tout sur Terre l’ait doté d’une intelligence hors du commun pour quelque temps… Bref, il faut encore recoller les morceaux entre ces deux histoires : celle des tensions exacerbées entre une mère et sa fille qui doivent en plus dans la peau de l’autre, cette histoire de scientifiques et de malédiction de Toutankhamon. L’avantage d’être aussi nombreux·ses sur scène se trouve alors ici : d’autres rôles secondaires peuvent apparaître, comme celui des trois sorcières à l’origine du fameux dessert avalé par Tess et Anna, qui fait basculer l’histoire dans un univers fantastique. De petits détails se mettent alors en place pour tenter de conserver une cohérence d’ensemble. Et même si celle-ci paraît par moments un peu bancale, on se dit aussi qu’il faut souvent réagir vite pour ces jeunes comédien·ne·s, tout en pensant à toutes les contraintes : un exercice particulièrement complexe !

Les codes du cinéma

En choisissant de créer un film en live, et en y ajoutant les publicités et bandes-annonces en préambule, les Risiens jouent avec les codes du cinéma. Tout commence donc en musique, le temps de poser le décor et les personnages. Le synopsis étant déjà connu du public, on peut passer cette première étape rapidement pour entrer ensuite dans le vif du sujet, à savoir la mise en place des contraintes et le lien entre les différents éléments. La technique joue alors un grand rôle : en plaçant des morceaux musicaux par moments, elle permet de créer des ellipses pour faire avancer l’histoire. Celles et ceux qui ne parlent pas ce soir-là sont ainsi parfaitement intégrés : iels permettent, par leurs gestes, de situer l’action, dans un pays ou un lieu plus précis – l’Égypte, une salle de cours, l’hôpital où travaille Tess… – et de faire avancer l’histoire, en passant sur les éléments qui ne nécessitent pas d’approfondissement. On pense par exemple au voyage en avion qui mène les protagonistes du Caire à Stockholm. Le procédé cinématographique est alors utilisé à bon escient et fonctionne à la perfection.

Ces interventions musicales permettent aussi de garder le rythme, pour ne pas s’enliser dans des scènes à rallonge qui commenceraient à tourner en rond. Pour ce faire, les comédien·ne·s n’hésitent pas à interrompre leurs camarades de jeu en entrant sur le plateau pour changer de scène, afin de faire avancer l’intrigue. C’est aussi l’occasion, parfois de rattraper une petite erreur de parole ou un oubli. La difficulté augmente avec le fait d’être autant sur scène, et si c’est un avantage par moments, il faut aussi se rappeler des rôles de chacun·e, de tout ce qui a été dit, des noms de chaque personnage… Un énorme défi pour cette jeune troupe !

Au final, on est heureux·ses d’avoir pu assister à cette performance qui n’était pas une mince affaire. On se permet d’ailleurs de vous annoncer déjà la bonne nouvelle : la Commission théâtrale d’Hermance, qui avait invité les Risiens, leur a d’ores et déjà proposé de revenir l’an prochain, et tant la troupe que le public a exprimé son enthousiasme. On ne sait pas encore quel sera le concept proposé, mais on se réjouit déjà !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Histoires filantes, par Les Risiens, un concept imaginé par Guillaume Canous, les 15 et 16 mars 2024 à la salle communale d’Hermance.

Mise en scène : Guillaume Canous

Avec Maia Bonneuil, Guillaume Camous, Lucas Cenciai, Adrien Escarguel, Bryan Furling, Eli Genevey, Corentin Gerold, Robin Havard, Louise d’Heucqueville, Maia Hoibian, Damian Jelic, Adèle Lafargue, Maxime Pipet, Sacha Potrel, Fanny Prost-Boucle, Pauline Roux, Louise Saillard, Anton Salachas, Bryan Schmitt, Killian Seban, Lucie Stos, Natacha Vallorz, Julie Vanrose et Emmanuelle Vintache

https://www.hermance.ch/_docn/5014393/LesRisiensHistoiresVivantes_03.24.pdf

Photos : © Collectif Les Risiens

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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