Les réverbères : arts vivants

Le pouvoir libérateur du théâtre

Lionel Lingelser s’inspire d’une histoire marquante de son village natal. Avec Les possédés d’Illfurth, il propose une autofiction sous la forme d’un seul-en-scène, dans lequel il montre comment se libérer de certains démons par le théâtre. C’était au Forum Meyrin les 14 et 15 mars.

Le début du spectacle a de quoi surprendre : un tambourin résonne au fond de la salle, avant qu’on ne voie débarquer Lionel Lingelser, vêtu d’une cape, une couronne sur la tête. Il est Hélios, son alter-ego autofictionnel, qui va nous raconter son histoire et son parcours de comédien. Dans le désordre, il sera question de son enfance où il se déguisait avec les robes de sa mère et suivait les cours de catéchisme, de son adolescence où il est devenu joueur de basket, en passant par ses premiers pas en tant que comédien face à un metteur en scène plutôt extravagant, jusqu’au retour à la maison, alors que le succès s’offre enfin à lui. Surtout, tout ce qu’il raconte est en lien avec une histoire qui a marqué Illfurth au XIXe siècle : les jeunes Joseph et Théobald, deux frères âgés de 7 et 9 ans, sont atteints d’un mal que personne ne peut expliquer. Les autorités finissent par les faire exorciser, les deux enfants étant déclarés possédés par le malin. Ce fait divers a toujours marqué Lionel Lingelser, les jeunes garçons ayant vécu dans la ferme qui est ensuite devenue celle de son grand-père. Avec Les possédés d’Illfurth, il métaphorise l’événement pour parler de diverses formes de démons qui s’immiscent dans nos vies…

Une énergie folle

Ce qui marque avant tout dans ce spectacle écrit avec Yann Verbrugh, c’est l’énergie déployée par Lionel Lingelser. Il parvient à occuper la scène avec l’aide d’aucun accessoire, si ce n’est une chaise à un moment donné. Sur le plateau, il bouge, danse, virevolte, court, saute… Avec son énergie débordante, il illustre le grand pouvoir de suggestion théâtre. On perçoit ainsi tout le décor qu’il nous fait imaginer. Bien aidé, il est vrai, par les lumières imaginées par Victor Arancio, il nous fait voyager de sa maison d’enfance à une salle de répétition, en passant par l’enfer qu’un oubli de texte lui fait vivre, littéralement…

Surtout, on est subjugué par les personnages hilarants qu’il nous propose. À la lecture du descriptif du spectacle sur le site du Théâtre Forum Meyrin, on ne s’attend pas à rire autant. On imagine un spectacle cathartique – ce qu’il est, bien sûr – appuyé sur une sombre histoire qui va nous marquer. Au final, et c’est une excellente surprise, les rires fusent et s’enchaînent, grâce à des personnages sans doute un peu caricaturaux, mais si bien interprétés par le comédien, qu’on ne peut que s’incliner devant son talent. On retrouve ainsi un metteur en scène tyrannique qui traumatise Hélios, tant il est habité par l’art qu’il veut transmettre ; un professeur de catéchisme au fort accent alsacien qui en fait des tonnes autour de l’histoire de Théobald et Joseph qu’il raconte aux jeunes enfants ; une mère toujours à l’écoute de tout et qui tombe dans un extrême de volonté de bien-être naturel… on pourrait continuer la liste à l’envi, tant la dizaine de personnages qu’il interprète, passant de l’un à l’autre sans transition autre que la posture et l’accent qu’il prend, sont tous plus hilarants les uns que les autres.

Se libérer de ses démons

N’oublions toutefois pas que ce spectacle est avant tout une histoire de possession. Car c’est bien de l’histoire des possédés d’Illfurth, narrée par l’angoissant professeur de catéchisme, qui inspire le propos de ce solo. L’histoire l’a toujours fasciné, car il est difficile de savoir de quel mal souffraient ces enfants. Si l’explication de l’époque, avec ces démons et l’exorcisme qui s’en est suivi a convaincu, avec le recul, on se doute bien sûr qu’il s’agissait d’autre chose. D’autant que les deux sont morts jeunes, l’un durant son adolescence, l’autre avant ses 30 ans. Ce qui inspire Lionel Lingelser, c’est donc les différentes formes que les démons peuvent prendre pour posséder un être.

Sans dévoiler tout le spectacle, on évoquera qu’il peut s’agir d’une maladie qui fait faire pipi au lit jusqu’à un âge avancé, mais aussi d’un harceleur de lycée, qui a lui-même vécu des choses difficiles, ou encore d’un metteur en scène aussi extravagant que tyrannique, voire d’un père homophobe qui a peur que son fils devienne homosexuel, sous prétexte qu’il n’y en a jamais eu dans la famille… Le théâtre joue alors le rôle d’exorciste. En interprétant ces différents personnages, il les confronte à Hélios, en les moquant tout en essayant de les comprendre. Les rires du public deviennent alors une force cathartique, qui permet, non pas de dédramatiser les traumatismes, mais de les dépasser, de prouver que son personnage est désormais plus fort. Le fait qu’il pardonne à l’un de ses démons est d’ailleurs une belle preuve de maturité et de sagesse acquise.

On conclura donc en soulignant l’immense performance de Lionel Lingelser, qui parvient à illustrer, en à peine une heure et demie, les immenses pouvoirs dont est doté le théâtre : à savoir l’imagination, la libération et surtout, le rire. Car monter une prestation aussi hilarante avec un sujet si lourd, il fallait le faire ! Chapeau l’artiste, comme on dit !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Les possédés d’Illfurth, de Yann Verbrugh, en collaboration avec Lionel Lingelser, les 14 et 15 mars 2024 au Théâtre Forum Meyrin.

Mise en scène : Lionel Lingelser

Avec Lionel Lingelser

https://www.forum-meyrin.ch/les-possedes-dillfurth

Photos : © Jean-Louis Fernandez

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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