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Jean-Louis Fournier : Mon autopsie

« Quand elle m’a ouvert le cœur, quelque chose s’est échappé et est tombé par terre… Elle s’est baissée pour ramasser. C’était une feuille d’artichaut » (p.41)

Mon autopsie, écrit par Jean-Louis Fournier et paru chez Stock en 2017, nous livre ses mémoires posthumes. Elles prennent tout d’abord place dans l’amphithéâtre des morts, le lieu où les cadavres sont alignés.

Un décor macabre

Le narrateur, comme de nombreuses autres personnes, a fait le choix de donner son corps à la science. Il est choisi par une jeune étudiante en médecine, qu’il nomme Egoïne. Dès lors, Fournier, conscient sur la table d’autopsie, effectue un retour sur soi, et nous dévoile son parcours atypique, comme un « curriculum mortis » (p. 16). « Mes os, mes cheveux, mes cellules qu’elle va examiner au microscope vont lui raconter mon histoire » (p. 18). L’entremêlement de la narration de son autopsie et celle de son introspection fonctionne parfaitement. Son corps se présente comme un plan, un terrain inconnu, que l’exploratrice et / ou l’archéologue Egoïne coupe, scie mais aussi ressuscite par ses trouvailles. Le récit progresse en suivant les étapes de sa dissection. De nombreux thèmes y sont abordés, tels que l’amour, la perte, l’ambition, la culture à travers de nombreuses allusions à Oscar Wilde, Malraux… Il s’attache aussi au thème de l’identité, qui ne cesse de muer tout au long de la vie. Fournier vit le dépaysement comme une perte de son identité, et c’est pour cela qu’il voyage peu. Il a besoin d’être reconnaissable par ce qui l’environne. Malgré une tendance à l’étalage de savoir-faire avec les femmes, son attitude optimiste et son autodérision sans limites transportent le lecteur.

Disséquer les morts, réveiller les métaphores

Toute l’originalité de Fournier réside dans le choix de ses métaphores. Au fil de la lecture, le lecteur ne peut être qu’amusé par le sens littéral qu’elles véhiculent. C’est ainsi qu’Egoïne, en incisant son cœur, découvre une feuille d’artichaut. Ou bien lorsqu’elle lui prélève sa cage thoracique, représentée sous la forme d’une cage d’oiseaux, car de nombreux petits oiseaux prennent alors leur envol. Fournier donne vie à ces locutions verbales figées en les appliquant au corps sans vie. « Dans mes livres, écrit-il, j’ai combattu les adverbes (…) les conjonctions de coordination (…) les conjonctions de subordination » (p. 31). En effet, l’emploi de phrases courtes contribue à créer une langue hachée et incisive, mise en lumière par le scialytique. Fournier, créateur de nombreux documentaires pour la télévision, de La Noiraude et d’Antivol, l’oiseau qui a le vertige, continue à nous surprendre par son ingéniosité. C’est aussi avec beaucoup d’humilité que Fournier se permet de rire de tout, à commencer par ses fils handicapés. Cet humour au premier abord mordant et décalé confère de la chaleur et de la légèreté à son récit fragmenté voire dépecé. Le post-scriptum qui termine son récit en dit long : « de toute façon, je m’en fous, demain c’est Pâques et je ressuscite » (p. 192).

 Raissa Luiza Santos Correia

 Cette critique a été réalisée dans le cadre d’un séminaire de Bachelor
du Département de langue et littérature françaises modernes (Université de Genève), consacré à l’écriture et animé par Éléonore Devevey.

 Référence :
Jean-Louis Fournier, Mon autopsie, Paris, Stock, 2017, 192.

Photos :

Banner : © SpencerWing

Assemblage photos : © Raissa Luiza Santos Correia
Dans cet assemblage, vous pouvez admirer :
– photos des oiseaux : sur le site vecteezy via google
– photos cage thoracique : ©Henry Vandyke Carter via wikipédia
– photo artichaut : ©Sab Simon via pinterest

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