Les réverbères : arts vivants

Justice pour tous, vraiment ?

Un avocat plein d’espoir face à un milieu ouvertement raciste qui fait tout pour lui mettre des bâtons dans les roues, des condamnations à tort malgré des preuves évidentes, et une formidable lutte contre un système pourri. Voilà comment on pourrait résumer en quelques mots Just Mercy, sorti en 2014.

Après ses études à Harvard, Bryan Stevenson (Michael B. Jordan), avocat afro-américain, débute en Alabama. Sensible à la cause de sa communauté, il s’engage dans la défense des droits civiques des condamnés à mort dans l’état, loin de la brillante carrière à laquelle il était promis. Accompagné d’Eva Ansley (Brie Larson), iels montent une association (Equal Justice Initiative). Le premier cas auquel il sera confronté, et sur lequel se concentre le film, est celui de Walter « Johnny D » McMillian (Jamie Foxx). Ce dernier a été condamné pour meurtre sur la base du faux témoignage d’un criminel blanc, et ce même alors que tout prouve son innocence. C’est sur ce fond de racisme intransigeant et quasi-institutionnel que se développe l’intrigue de Just Mercy, basé sur les mémoires de Bryan Stevenson.

Une envie de s’insurger

Nous sommes à la fin des années 80, le racisme est omniprésent en Alabama. Les propos prononcés par certains personnages, comme les responsables de la police et même le procureur, sont d’une telle violence que je ne souhaite même pas les retranscrire ici. Ce qui frappe dans ce que nous raconte Just Mercy, c’est que ce racisme est tellement présent qu’il a été intériorisé et accepté par la communauté afro-américaine, du moins chez ceux qui attendent dans le couloir de la mort. La première scène où Bryan s’entretient individuellement avec chacun des condamnés est édifiante : tous se méfient de lui, alors qu’il fait partie de leur communauté et débarque avec des intentions tout à fait louables. Malheureusement, déçus par les précédents avocats, ils sont devenus fatalistes face au racisme ambiant. Sans que cela ne soit verbalisé, le fait que l’avocat qui se présente soit noir lui aussi, semble résonner comme un argument supplémentaire à la vision défaitiste des protagonistes. Ceci, on le perçoit que le film se focalise sur Bryan : on comprend ses états d’âme, on entre dans son intimité lorsqu’il se retrouve seul le soir, face à ses dossiers. Les plans sur son visage plein de doute en disent également très longs. Pour autant, il n’abandonne jamais, et fera tout pour gagner la confiance du groupe. Pour ce faire, Bryan rencontre à plusieurs reprises la famille et la communauté de Johnny D, ce qui constitue un grand pas en avant, aucun des avocats n’ayant fait ce pas auparavant. Choquant ? Cela l’est d’autant plus quand on apprend que la famille détient toutes les preuves et témoignages nécessaires à l’innocenter, tout en sachant que le procureur n’en tiendra jamais compte…

Inévitablement, le propos résonne avec aujourd’hui, et l’histoire récente, autour de George Floyd et du mouvement Black Lives Matter, nous revient en tête. On ne peut s’empêcher d’être, nous aussi, fatalistes, en se disant que les choses ont peu évolué, en plus de trente ans, malgré tout ce que l’on sait aujourd’hui et tout ce qu’on a fait en termes de droit. Cette réalité est particulièrement vraie pour les États-Unis, mais elle s’étend malheureusement aussi au reste du monde.

Un film profondément humain

Comme je l’évoquais, Just Mercy est avant tout centré autour de Bryan Stevenson : on y voit ses doutes, son enthousiasme qui ne faillit jamais malgré les nombreux obstacles, mais aussi le choc de la réalité face à son envie de défendre tout le monde et ses espoirs. Pour preuve, le tribunal a rejeté quatre recours dans l’affaire McMillian, pour finalement libérer cet homme qui aura passé six ans dans le couloir de la mort, à tort… Il décédera en 2013, des suites d’une démence précoce, et l’on ne peut que se dire que son incarcération y est pour beaucoup. Pire, l’un de ses compagnons, Anthony « Ray » Hinton (O’Shea Jackson Jr), sera libéré après près de trente ans, arrêté à cause d’un rapport balistique erroné et d’un procurer convaincu de sa culpabilité « rien qu’à voir sa tête ». Parmi tous les cas défendus par Bryan Stevenson, certains n’auront malheureusement pas eu la « chance » de s’en sortir, comme Herbert Richardson (Rob Morgan), dont la scène de l’exécution est emblématique et particulièrement insoutenable…

À travers ces cas, Just Mercy raconte les liens qui se tissent entre des êtres humains, tous ceux détenus injustement dans le couloir de la mort, qui sont devenus amis. Les plans sur chacun d’entre eux, lors de l’exécution d’Herbert, constituent un moment poignant dans le film : on y voit tour à tour le visage affecté de chacun des condamnés, alors que résonne The Old Rugged Cross d’Ella Fitzgerald, la chanson choisie par Herbert. Puis tous font entendre leur voix, d’abord en tapant avec leurs écuelles contre les barreaux des cellules, avant de hurler à Herbert qu’ils l’aiment. Soudain, tout s’arrête : un silence, puis la mort. Cette scène, tout comme les moments passés par Bryan avec la famille de Walter, tendent à rendre l’humanité à ces hommes qui en ont été doublement privés : par une condamnation à tort et par le racisme dont ils sont victimes.

Fabien Imhof

Référence :

Just Mercy, d’après les mémoires de Bryan Stevenson, réalisé par Destin Daniel Cretton, USA, 2019, 137 min.

Avec Michael B. Jordan, Jamie Foxx, Brie Larsen, Rob Morgan, Tim Blake Nelson, Rafe Spall, O’Shea Jackson Jr…

Photos : © DR

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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