Les réverbères : arts vivants

Quête de soi dans Miranda, reine de quoi ?

Deuxième interview de la saison dans le cadre de notre partenariat avec le Théâtre du Loup ! À l’occasion de la reprise de Miranda, reine de quoi ? Fabien Imhof s’est entretenu avec Lola Riccaboni, qui signe l’adaptation et la conception de ce spectacle.

La Pépinière : Lola, bonjour. Le spectacle se base sur une histoire qui vous a touchée durant votre enfance, et vous touche encore aujourd’hui. Pourquoi ?

Lola Riccaboni : Cette histoire m’a touchée pour différentes raisons quand j’étais petite : d’une part, elle comportait tout un aspect que je trouvais incroyable, avec ce monde du cirque qui me faisait rêver. Je pense que les illustrations y étaient pour beaucoup : je les regardais, je les reregardais et je m’identifiais beaucoup à cette petite fille qui évoluait dans ce monde d’artistes et avait une certaine autonomie. Le fait qu’elle ait sa propre roulotte, qu’elle soit livrée à elle-même quand ses parents travaillaient, ça me fascinait. D’une certaine manière, je voyais des similitudes avec mon parcours à moi, dont les parents ont fondé le Théâtre du Loup, faisaient des spectacles… Je crois que ce qui m’a plu, ce sont ces similitudes entre son parcours et le mien, et le côté magnifié de ce monde de cirque et de roulottes. Les préoccupations de Miranda aussi, qui à la fois se réjouit qu’on imagine des rôles pour elle dans le cirque (comme trapéziste, clown, dompteuse…), projette une réussite immédiate et se rend compte que ce n’est pas si facile que cela… Elle voit que ça ne lui plaît pas tant que ça, ou peut-être qu’elle n’a pas envie de fournir les efforts nécessaires pour arriver au niveau professionnel. Il y a beaucoup de choses qui me parlent dans le fait de vouloir correspondre aux attentes des parents, souffrir de peut-être les décevoir, de ne pas savoir soi-même ce qu’on désire, peiner à entrevoir clairement le chemin qui nous attend…

La Pépinière : Qu’est-ce qui vous a décidé à la porter à la scène ?

Lola Riccaboni : À un moment donné, j’étais moi-même, dans mon parcours de comédienne, sur un projet qui ne me nourrissait pas énormément, j’étais beaucoup loin de chez moi. On jouait tous les soirs, mais la journée j’avais du temps qui me laissait réfléchir à la suite et me poser des questions. Je me rendais compte que c’était de plus en plus compliqué d’être « simplement » interprète sur un projet qui ne me faisait pas tant vibrer que ça. De là m’est venue la réflexion de mettre en route des projets et vouloir collaborer avec des gens dont l’univers artistique m’excite. Quand j’étais petite, j’ai adoré qu’on me raconte des histoires, j’en garde des souvenirs mémorables. J’avais donc envie de monter un spectacle jeune public. En plus, quelques années avant cela, j’étais tombée amoureuse de quelqu’un qui faisait du cirque, vivait en roulotte, partait en tournée, et que j’ai donc beaucoup accompagné. Je pense que ça m’a rappelé cette histoire que j’avais un petit peu oubliée. Ma maman a réussi à se procurer le livre et me l’a offert pour mes 30 ans. Entre ce moment et la création du spectacle, j’ai contacté l’autrice du livre en lui expliquant toute mon histoire, ce qui a donné lieu à un bel échange. Même s’il n’était plus édité, elle était tout à fait d’accord pour que je le monte au théâtre. Avant d’avoir le livre, j’ai donc essayé de réécrire d’après les bribes de souvenirs que j’en avais, parce que j’avais envie de me laisser rêver autour de ça. Puis j’ai relu le texte et je me suis rendu compte que ce que j’avais en tête était encore plus riche que l’histoire initiale et que je pourrais injecter tout ça à l’intérieur du canevas de base.

La Pépinière : Vous partagez un lien très particulier avec cette histoire. Lorsque vous avez demandé l’utilisation des droits à l’autrice, j’ai lu que cela a changé quelque chose et que l’idée d’un spectacle en solo a évolué vers un projet plus collectif. Comment cela s’est-il passé ?

Lola Riccaboni : J’avais effectivement ce projet de monter le spectacle seule. Puis le comité du Théâtre du Loup m’a contactée pour me donner carte blanche pour faire une création jeune public. Quand c’est devenu concret, ça m’a d’abord fait peur et, après avoir réfléchi, je me suis dit que si je ne le faisais pas à ce moment-là, je ne le ferais jamais. Toutes les conditions étaient réunies, et je n’avais « plus qu’à » faire un spectacle. Finalement, ça n’avait aucun sens de raconter tout cet univers, ces personnages, en solo. J’avais envie de le raconter avec des gens, et j’aime ce côté collaboratif. J’ai décidé de réunir celles et ceux que j’imaginais comme les bon·ne·s partenaires. C’était important qu’il y ait de la musique live, ça fait une partie de la richesse du cirque. J’ai donc fait appel à Simon Aeschimann, que je connaissais bien et qui lui-même cherchait du travail à ce moment-là. Lui et Sylvain Fournier étaient partants pour travailler ensemble. Puis j’ai rassemblé des ancien·ne·s camarades de promo (Lucie Rausis et Cédric Simon) et le papa de ma fille, Janju Bonzon, qui vient de l’univers du cirque, m’avait soutenue dans le projet dès le départ et m’a beaucoup aidée, notamment sur des pistes de scénographie. Tout s’est fait de manière assez collective, avec la collaboration aussi de mon papa sur cet aspect. Bref, j’ai réuni des gens qui avaient travaillé déjà de près ou de loin sur des projets du Théâtre du Loup. Je croyais en leurs compétences et c’est un pari qui s’est révélé absolument réussi. C’est toujours extrêmement riche quand on laisse la place à chacun·e de donner ce qu’iel a de meilleur !

La Pépinière : Il s’agit d’une reprise. Qu’est-ce qui a évolué depuis la première série de représentations ?

Lola Riccaboni : Déjà je pense que les spectacles, quand ils sont repris, sont meilleurs qu’au départ, comme s’ils avaient maturé. Je voulais qu’il y ait toujours un regard extérieur, et comme je voulais jouer dans le spectacle, j’avais fait appel, dans un premier temps, à Adrien Barazzone, mais qui a finalement dû renoncer. J’ai donc demandé à David Casada, qui faisait ça pour la première fois, et il a été hyper adéquat, c’était absolument génial ! Donc quand Cédric Simon m’a dit qu’il ne serait pas disponible cette fois-ci, j’ai immédiatement pensé à David pour reprendre son rôle. C’est un cadeau que ça puisse se passer comme ça ! Et au niveau des enfants dans le spectacle, il ne reste que ma fille, les deux autres changent, pour des questions de taille. On ne fait pas de très gros changements, mais à mon avis, le spectacle aura maturé.

La Pépinière : C’est un spectacle sur la quête de soi, comment on suit ou non un chemin plus ou moins tracé. Quel message cherchez-vous à transmettre à travers ce propos ?

Lola Riccaboni : Je ne suis pas certaine d’avoir voulu transmettre un message précis. J’avais surtout envie de parler de ces questions à travers un spectacle, de proposer une forme qui parle aux petit·e·s et aux plus grand·e·s et qui amène des échanges autour de ces questions, hyper importantes, mais parfois aussi extrêmement vertigineuses. Quand on est enfant, le fait de pouvoir en parler avec le moins de pression possible, avec des adultes qui entendent nos craintes ou nos questionnements et peuvent nous accompagner dedans, c’est primordial. S’il y avait un message, ce serait : il y a le temps, et il faut le prendre pour essayer des choses, sans forcément devoir obtenir immédiatement un résultat, exceller et prouver quoi que ce soit. Donc encourager les enfants à être curieux·ses, à se tromper. Je trouve important de parler de cette notion de l’échec. Quand on est dans une famille et qu’on a un regard admiratif envers nos parents, ce n’est pas facile de se dire qu’iels ne sont pas infaillibles, sans avoir conscience de tout le travail qu’il y a derrière.

La Pépinière : Il s’agit d’une adaptation, avec notamment un changement de titre (Miranda, reine du cirque devient Miranda, reine de quoi ?). Qu’est-ce qui change entre l’œuvre de départ et votre adaptation ?

Lola Riccaboni : L’histoire d’origine était extrêmement simple, avec un canevas où le scénario se répète. Le travail d’adaptation a permis d’injecter différentes réflexions, des dialogues qui permettent d’ouvrir sur des thématiques qui pouvaient trouver leur place dans le scénario initial, comme la question de ce que c’est que d’être artiste, ou le poids de l’héritage pour un enfant qui ne se sent pas forcément légitime au départ ou qui a l’impression de ne pas avoir les épaules. On aborde aussi la transmission de la passion par les parents, en se demandant si c’est ça le plus important, ou l’épanouissement de son enfant par un chemin qui lui sera propre. On a travaillé avec ma sœur Juliette Riccaboni, sous la forme d’un ping-pong d’écriture à quatre mains. On a aussi travaillé sur la langue, parce qu’on est très sensible aux mots et à ce qu’ils peuvent raconter concrètement, à la poésie aussi. C’est pour moi un des aspects assez réussis de cette adaptation, le côté aiguisé à l’endroit de la langue. L’œuvre de Jo Hoestlandt a été un magnifique tremplin de départ pour ensuite pouvoir ajouter des préoccupations plus personnelles à l’intérieur.

La Pépinière : Il y a une grande notion de corporalité dans le jeu. Les comédien·ne·s ne sont pas des acrobates, mais doivent aussi jouer ce rôle. Comment cela a-t-il été réfléchi ?

Lola Riccaboni : C’était un désir dès le départ de faire un spectacle de théâtre, mais qui raconte le cirque aussi. Le fait d’inclure dans l’équipe quelqu’un qui venait de ce milieu s’inscrivait aussi dans cette perspective-là. Moi j’avais envie de pouvoir faire du trapèze, chose que je n’avais plus faite depuis mes 7 ans ! Ça n’a pas été sans difficultés, je suis même allée à Barcelone ou à Paris pour prendre des cours, faute de trouver un professeur à Genève. J’ai aussi pensé ma distribution en fonction de ça : Lucie Rausis et Cédric Simon ont un rapport au corps, à travers leur pratique, et je pense qu’on ne peut pas raconter une histoire sur le cirque sans faire appel à des interprètes qui ont travaillé sur le corps. C’était un challenge qu’on a réussi à relever !

La Pépinière : Le spectacle est joué avec un grand collectif, le terme de « famille hybride » apparaît dans le dossier de presse, une famille que vous avez choisie. Est-ce que c’était important pour vous ?

Lola Riccaboni : Que ce soit pour le corps ou la musique, tout est important. J’avais envie de créer un univers total et à mon sens c’est un pari réussi ! Je peux le dire aujourd’hui, parce que j’avais peur de tomber à côté avant de monter le spectacle. Michel Guibentif, talentueux créateur lumière, a également une importance toute particulière : notamment dans la scène de tempête, qu’on voulait comme une scène de cinéma, avec des gros effets. Dans la manière de travailler, il y avait quelque chose de très horizontal, ça nous a rapproché·e·s les un·e·s les autres, chacun·e a amené le meilleur de soi-même, et après trois jours de répétitions, j’ai senti le potentiel de chaque personne à son comble. C’était beau et rassurant ! Je me suis entourée à la fois de ma famille biologique – mon père, ma mère, ma fille, ma sœur, mon conjoint de l’époque – mais aussi de gens qui ont été très importants dans cette aventure, avec des choses qui nous liaient déjà avant. Ça a recomposé une grande famille autour de ce projet. Pour un premier projet et de manière générale, pour travailler dans la joie, je pense qu’il faut se sentir en confiance et avoir des affinités avec les gens avec qui on travaille. Malgré les désaccords et les divergences parfois, il faut qu’il y ait cette base de confiance, de valeurs et d’univers communs. Il y avait une véritable effervescence collective, où tout le monde travaillait avec enthousiasme et talent. Ça fourmillait de partout, entre des personnes déjà expérimentées – comme mon père Eric Jeanmonod, Michel Guibentif ou Katrine Zingg qui a fait les postiches – et d’autres, comme moi, pour qui c’était la première création. Je tiens à souligner ici le travail de Charlotte Legal et Sabine Schlemmer, les deux costumières, qui avaient envie de tenter le coup de la création costumes pour la première fois. Elles sont venues de Paris et ont travaillé d’arrache-pied pendant la période où on créait. On voyait tout ça prendre forme en parallèle, avec la confection de costumes qui ont contribué à l’univers magique du spectacle, et c’était magnifique ! Je suis vraiment heureuse que cette aventure ait eu lieu et qu’on ait à nouveau la possibilité de la partager avec petit·e·s et grand·e·s. C’est pour moi une des missions de l’art : échanger, s’interroger, et pourquoi pas, se déplacer un petit peu dans ses points de vue.

Propos recueillis par Fabien Imhof

Infos pratiques :

Miranda, reine de quoi ?, d’après Miranda, reine du cirque de Jo Hoestlandt, du 27 octobre au 12 novembre 2023 au Théâtre du Loup.

Conception : Lola Riccaboni

Avec Janju Bonzon, David Casada, Lucie Rausis, Lola Riccaboni, les musiciens Simon Aeschimann, Sylvain Fournier et les enfants Elie Mettral, Gaia Rebecca et Jeanne Riccaboni (en alternance)

https://theatreduloup.ch/spectacle/miranda-reine-de-quoi-2023/

Photos : © Dorothée Thébert Filliger

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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