Les réverbères : arts vivants

La communication bienveillante poussée à l’extrême

Dans un open-space, quatre managers se réunissent pour travailler et améliorer leurs pratiques, à travers la communication bienveillante. La question se pose alors de savoir jusqu’à quel point on peut la pousser et quelles en sont les limites. Le collectif moitié moitié moitié tente d’y répondre par l’absurde, dans Objectif Projet. C’était à voir le vendredi 24 mars à l’Usine à gaz de Nyon.

Sur la scène, une grande table posée sur un tapis vert, des ordinateurs, des chaises de différentes types (pour le confort de chacun·e), des gobelets sans doute issus du dernier café à la mode et une plante verte censée stimuler la créativité par sa couleur. Tout est réuni pour bien travailler, donc. D’entrée, dans la réunion de début de semaine, l’une des membres fait une proposition pour améliorer l’estime de soi : que chacun·e se trouve un prénom pour la journée. Voilà donc qu’Ashley (Marie Ripoll), Tom Hanks (Adrien Mani), Pelle (Cécile Goussard) et Merde (Matteo Prandi) cherchent à booster la productivité de leur entreprise. Pour ce faire, iels axeront leur réflexion sur les projets individuels, les feedbacks bienveillants, la manière de communiquer, et iront même jusqu’à chanter du Bach a capella pour sublimer leur travail. Mais à quoi bon ?

La communication bienveillante à tout prix

Objectif Projet s’inspire des discours que l’on entend beaucoup depuis quelque temps sur la communication bienveillante. Cette dernière consiste à ne jamais critiquer, éviter toute forme de négation et de négativité, en remplaçant par exemple « mais » par « et », en faisant attention au ton employé et en proposant sans cesse des pistes d’amélioration. Dans ce spectacle, le collectif moitié moitié moitié pousse ce concept à fond. Dans l’open-space, aucune hiérarchie entre les quatre managers, qui travaillent tou·te·s sur un pied d’égalité. Au début, cette manière d’envisager les relations professionnelles semble bien fonctionner : les idées foisonnent, tout le monde est motivé et se sent en confiance, des liens forts se créent, parfois dérivant sur des rapports plus ambigus… Mais bien vite, certaines limites apparaissent : quand un problème se pose, qui prend les décisions, si on est en désaccord et qu’il n’y a pas de supérieur·e ?

Alors, la compétitivité humaine – est-elle naturelle ou socialement construite ? Chacun·e se fera sa propre idée – ressort, et il peut devenir difficile de contenir sa frustration. Les quatre personnages y parviennent plutôt bien, étonnamment, mais… pardon, ET ont sans cesse besoin des autres pour avancer et leur rappeler comment communiquer correctement.

La culture du vide ?

Ce que nous enseigne Objectif Projet, c’est que cette communication bienveillante mise tout sur la forme. Mais quid du fond ? Sur quoi travaillent les quatre protagonistes à l’œuvre ici ? La question ne sera posée que dans la dernière partie du spectacle, et elleux-mêmes auront de la peine à y répondre… Je dois bien avouer qu’en tant que spectateur, je ne m’étais même pas interrogé là-dessus ! Ce qui amène une autre dimension à la réflexion : est-on « matrixé », tellement ancré·e dans ces discours que l’on entend de plus en plus qu’on en oublie la finalité ?

Le collectif moitié moitié moitié pousse, dans Objectif projet, l’absurde à l’extrême pour nous amener cette réflexion, l’air de rien. Les noms des personnages en sont d’ailleurs un bon indicateur, et on apprécie l’humour, quand l’un des protagonistes dit avoir particulièrement apprécié « le feedback de Pelle à Merde ». De quoi vous donner une petite idée de l’humour omniprésent de ce spectacle. Et parlant d’absurde, on se questionne sur les passages chantés et l’intérêt pour les managers. Les paroles, Ach Gott, von Himmel sieh darein (Oh Dieu, du ciel regarde ça), nous donnent sans doute une petite indication sur la vacuité de ce qu’iels sont en train de faire dans cet open-space…

Si l’on devait résumer rapidement Objectif Projet, on dirait que c’est un spectacle absurde et hilarant, mais qui amène une certaine réflexion sur la bien-pensance extrême dont on nous bassine au quotidien. Et si cette nouvelle manière d’envisager les relations au travail est en totale opposition avec la surcompétitivité capitaliste qu’elle cherche à dénoncer, tomber dans un extrême inverse n’est pas forcément la solution idéale…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Objectif projet, du collectif moitié moitié moitié, le 24 mars 2023 à l’Usine à Gaz.

Conception, mise en scène et jeu : Cécile Goussard, Adrien Mani, Matteo Prandi et Marie Ripoll

https://usineagaz.ch/event/objectif-projet-collectif-moitie-moitie-moitie-ch/

Photos : © Sébastien Monachon

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *