Les réverbères : arts vivants

La force du « sexe faible »

Ou la cohérence de la pensée – Louise de et par Charlotte Filou – Scène Caecilia jusqu’au 9 mars

La commune de Paris, c’est une longue histoire, une histoire atroce. Elle ressemble à la Révolution de 1789. Cependant, les révolutions ne sont pas toujours là où on les imagine, ni les révolutionnaires là où on les attend. 1789 fut une rixe de nantis ; 1792, la révolte de la plèbe ; 1830, le retour des bourgeois aux affaires ; 1871, c’est la Commune de Paris, la révolte des indigents.

« Croit-on pouvoir faire la révolution sans les femmes ? Voilà 80 ans qu’on l’essaye.[1] »

La vision dominante des révolutions et des révolutionnaires fut pendant longtemps jacobine, masculine, construite autour des figures telles que : Robespierre, Saint-Just, Lamartine, Gustave Courbet… jusqu’à Gavroche. On le sait aujourd’hui, des femmes ont compté dans ces révolutions : Olympe de Gouges, Charlotte Corday, Paule Minck, Victoire Béra et… Louise Michel, dit la vierge rouge de la Commune. Elles ont opposé à la guillotine, au canon, la force du sexe que l’on dit faible.

En recevant la parole de Charlotte Filou, en découvrant l’étendue de la vie de Louise Michel, il semble que la cariatide comme le dit Victor Hugo, n’échappe pas à sa condition, aux contraintes objectives de sa condition collective. Seulement, les déchirures de l’Histoire et la misère du monde vont obliger le peuple à se révolter. C’est à l’honneur de Charlotte Filou de présenter avec sincérité son héroïne, avec sa force et ses faiblesses, de montrer l’entier d’un personnage en gommant tout sentiment de tragédie, au nom de la vérité pour l’ajuster à sa finalité politique. Louise Michel, c’est une foi lumineuse, une ardeur qui crie : Il faut mettre le feu à Paris !

Charlotte Filou, excellente comédienne, s’est charnellement identifiée à Louise Michel. Un courant de sympathie immédiat lie le public à ce personnage, le plus extraordinaire de son temps, qui possède déjà en elle-même, un capital d’attachement. Il y a paradoxalement, un peu de Marie-Antoinette au Temple, dans le courage qu’elles ont en commun, dans la volonté qu’il y a eu de les abattre, de les effacer et les iniquités qu’elles ont subies.

Il n’y a pas d’humanité sans liberté. Cette phrase, Louise Michel, institutrice, aurait pu l’écrire à la craie sur le tableau noir de son école. Charlotte Filou la prend en compte dans l’entier du texte dont elle est l’autrice. Un texte particulièrement bien écrit qui suit de manière linéaire, en se concentrant sur ses engagements politiques et féministes au nom de la liberté, depuis l’enfance jusqu’à son décès. Un spectacle ponctué par des interventions qui permettent, si cette période de l’histoire de France est un peu floue, de rendre un peu les choses. José Lillo, dont on connaît la voix profonde, complète le timbre de la comédienne tout aussi intéressant.

Il y a beaucoup d’images autour des révolutions, c’est de toute évidence un des creusets de la littérature et du cinéma. Dans la scénographie proposée, le public doit puiser dans son imaginaire pour entourer le spectacle, entre Les Misérables d’Hugo ou plus récemment le film Louise Violet d’Éric Besnard, afin de placer un décor concret, bardé d’histoire autour du récit. La scénographie est un peu le parent pauvre de cet objet théâtral intense et profondément humain.

Louise Michel, c’est une vie avec une dimension historique, politique, sociale et féministe abyssale. Charlotte Filou s’est emparée avec force de cette héroïne du monde dans une mise en scène ponctuée par des éclairs d’humour et de légèreté. D’une révolution et d’une révolutionnaire, de la contestation et de la liberté, ce spectacle en fait aussi de la poésie.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Louise de Charlotte Filou,  à la Scène Caecilia, du 5 au 9 mars 2025.

Mise en scène : Charlotte Filou

Collaboration à la mise en scène : Antoine Courvoisier, Hélène Hudovernik, José Lillo

Avec Charlotte Filou, José Lillo

https://scenecaecilia.ch/louise/

Photos : © Daniel Calderon (banner) – Antoine Courvoisier (Inner)

[1] Victoire Béra – romancière féministe – 1824 – 1900

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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