Le banc : cinéma

La jeune fille et l’araignée : comment larguer les amarres ?

À mi-chemin entre le réalisme et le fantastique, La jeune fille et l’araignée évoque une étape de vie délicate : le déménagement, et toutes les interrogations qu’il soulève en nous : nos rêves, nos peurs, nos regrets. C’est un duo de réalisateurs suisses qui nous le propose, composé des frères Silvan et Ramon Zürcher.

Le destin propulse les personnages dans un appartement en rénovation : colocataires, parents, voisins, déménageurs. Les interactions sont brèves et subtiles – on peine à saisir qui sont ces personnes, quel lien les unit, comment elles ont atterri là. Certaines participent aux travaux, d’autres viennent faire connaissance ou donner un coup de main. S’il déstabilise, ce scénario flottant rappelle toute période transitoire de la vie, où tout semble remis en question. Mara, la protagoniste, peine à se séparer de ses anciens colocataires et en particulier de Lisa, avec qui elle entretient une relation tendre et conflictuelle.

L’appartement neuf est le lieu de tous les possibles. D’un blanc immaculé, il est parsemé de tournevis, d’escabeaux, de bâches protectrices – les outils avec lesquels on se construit une nouvelle vie. Les êtres en mouvement vont et viennent dans ce qui semble un lieu abstrait et symbolique du changement. Au long du film, une araignée tisse sa toile dans le recoin des pièces, évoquant notre capacité à faire de tout lieu un nouveau chez-soi. À cette réalité concrète s’oppose le désir d’évasion qui traverse les personnages : Voyage, voyage, la bande-son du film, ne cesse de réapparaître, jouée au piano ou chantonnée distraitement. Une ancienne colocataire a réalisé ce rêve de tout quitter : elle est partie travailler comme femme de chambre sur un bateau de croisière. Mélancolique, elle veille de loin sur ses amis, quelque part entre ciel et mer.

La beauté du film réside aussi dans la densité des relations qui unit ces êtres humains : une parole complice circule de personnage en personnage et les regards passent dans la caméra comme un courant électrique. La valse, deuxième thème musical du film, accompagne ce carrousel de relations uniques et éphémères.

Nostalgique, Mara est la seule à résister au changement : elle baigne dans les souvenirs d’un temps heureux et pourtant révolu. Elle éprouve le besoin de tisser des liens avec l’autre, et une difficulté croissante à le faire. Une araignée court parfois de sa main à celle de ses colocataires, permettant de rares moments d’intimité à ces personnes qui ne savent plus comment se parler.

Les enfants du quartier ajoutent de la légèreté à cette atmosphère dense en émotions – ils semblent parfois moquer le sérieux des adultes, courant dans les couloirs en riant, jetant des bombes à eau du balcon, ouvrant la porte des toilettes occupées. Ce sont aussi eux qui colorient le plan d’étage de l’appartement en le remplissant d’histoires, d’habitants et d’animaux de compagnie, donnant symboliquement vie à l’espace vierge.

Naviguant avec légèreté sur des thèmes universels – le besoin de sécurité et de renouveau, d’isolement et de lien avec l’autre, de rêver ou de réaliser ses projets, La jeune fille et l’araignée est une belle découverte.

Lucie Krey

Référence : La jeune fille et l’araignée Silvan et Ramon Zürcher (2021). Le film est disponible sur la plateforme et l’application Filmingo.

Interview des réalisateurs disponible au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=d6C-YY1ZcSQ

Photo : © Filmingo

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