Les réverbères : arts vivants

La Révolte : pamphlet féministe avant l’heure ?

La julienne accueille la Compagnie X225, dans le cadre de la saison culturelle de Plan-les-Ouates, pour La Révolte. Un drame bourgeois aux consonances étonnamment modernes pour un texte écrit entre 1868 et 1869, dans une mise en scène de Philippe Lüscher. À voir jusqu’au 16 mars.

Alors que nous entrons dans la salle, Félix (Simon Labarrière) fait ses exercices de musculation sur le plateau. Dès le départ, on perçoit le symbole d’une forme de virilité exacerbée. Sa femme, Elisabeth (Emilie Cavalieri), le rejoint bientôt, lui apportant de l’eau avant de lui résumer toutes les affaires financières : investissements, pertes et bénéfices, projections… C’est elle qui s’occupe de tout depuis leur mariage, 4 ans et demi plus tôt, alors que lui s’enrichit en comptant sur elle. Mais ce soir, elle a pris la décision de le quitter, après avoir mis suffisamment de côté, sur le peu de la fortune qui lui revient. Lui, surpris, tombe des nues et n’y croit pas vraiment. Il se promet pourtant de l’écouter jusqu’au bout. Et alors qu’on pourrait croire qu’elle a pris le dessus, un rapport de force encore bien ancré dans la société de l’époque sous-tend toujours la discussion, remettant potentiellement la décision d’Elisabeth en question. C’est dans cette lutte pour une volonté d’émancipation que réside toute la modernité de ce texte pourtant ancien signé Auguste de Villiers de l’Isle-Adam.

Jeu de dame ou échec ?

Le décor imaginé par Philippe Lüscher et conçu par l’Association Trajets s’apparente, de prime abord, à une salle de sport dans un sous-sol. Au centre de l’espace trônent deux piliers en métal, auxquels des lampes sont accrochées. À plusieurs reprises, elles peinent à fonctionner et grésillent, en même temps que la relation entre Elisabeth et Félix semble s’effriter. Serait-ce une manière de symboliser qu’ils sont eux-mêmes les deux piliers indissociables de ce couple ? Pourtant, ce qui interroge le plus, c’est le sol en damier. Au fil des discussions, Elisabeth avance ses pions, faisant reculer Félix dans ses retranchements. Au point de le mettre en échec et mat ?

C’est en tout cas ce qu’on peut penser pendant un bon moment, tant l’homme semble vaciller sur ses appuis, alors qu’elle dégage une image forte, assurée, en étant parfaitement préparée et sûre d’elle. Mais la situation de l’époque est compliquée pour l’émancipation des femmes. Nous en avons déjà un indice lorsqu’Elisabeth démontre, sur le tableau noir qui se trouve en fond de scène, le peu d’argent qui lui appartient sur les affaires fructueuses de son mari. Affaires qui, rappelons-le, sont gérées par l’épouse du couple. La situation, donc, est compliquée, et Elisabeth devra faire face à ce qui semble être une fatalité. Alors, quelle sera l’issue de cette pièce : une action décisive de la dame ou un échec total ?

Féminisme avant l’heure

Le texte de Villiers de l’Isle-Adam étonne par sa modernité, en présentant une femme particulièrement affirmée, avec une grande maîtrise des chiffres et un sens aiguisé des affaires. Sans compter une certaine virtuosité de la langue. Il faut dire qu’elle a parfaitement prévu son coup en planifiant tout pour atteindre ce qu’elle définit d’abord comme un rêve. Le traitement de ce personnage est d’autant plus étonnant qu’il est écrit par un homme, avant la fin du XIXe siècle ! On perçoit d’ailleurs une grande dichotomie entre les deux protagonistes, alors même que Félix est persuadé que son épouse lui est totalement dévouée.

Face à ce caractère affirmé, Félix semble faire preuve d’une certaine naïveté : il ne croit pas un mot de ce qu’elle dit, met cela sur le compte de la fatigue, ou de la météo. Peut-être même sa femme est-elle malade ? Mais au fond, et tant le texte que le jeu de Simon Labarrière font preuve d’une subtilité sur ce point, Félix a parfaitement conscience de la situation. Cependant, au vu des mœurs et habitudes de l’époque, il ne peut concevoir qu’Elisabeth le quitte, et tente malgré lui de s’en convaincre. Nous assistons donc à une véritable partie d’échecs, où chacun·e doit argumenter, avancer ses opinions et tenter de convaincre l’autre. Vous l’aurez sans doute compris, l’une est plus convaincante que l’autre. Mais rien n’est simple, au XIXe siècle…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

La Révolte, d’Auguste de Villiers de l’Isle-Adam, à La julienne, dans le cadre de la saison culturelle de Plan-les-Ouates, du 7 au 16 mars 2025.

Mise en scène : Philippe Lüscher

Avec Emilie Cavalieri et Simon Labarrière

https://www.saisonculturelleplo.ch/la-revolte

Photos : ©Caroline Buisson

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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