« La solution, c’est la vie »
[1]Dimanche 9 mars en fin de journée, je rencontre Caroline Bernard. Elle présentera Don’t Make A (psycho)drama! We’re Still in A Game… dans la salle du 7ème étage de la Maison Saint-Gervais, du 20 au 30 mars prochain. Cette performance pluridisciplinaire est la poursuite d’une (en)quête sur l’(im)possible guérison, le recherche de voi(x)es alternatives à la psychiatrie, une histoire qui a débuté, il y a presque dix ans, avec une rencontre, celle de Valerio.
« La vie fait la dramaturgie »
En 2016, alors qu’elle va voir son cousin malade, Caroline Bernard, fait la rencontre de Valerio, un rappeur de Roumanie. Iels sont dans le même covoiturage, font connaissance, passent du temps et commencent à écrire ensemble. Iels s’accompagnent dans ce que chacun et chacune vit et traverse d’épreuves, un deuil pour Caroline, et une rupture amoureuse et toutes sortes de diagnostics imposés par le monde médical – schizophrénie, bipolarité, borderline – pour Valerio. Un processus de travail, puis une performance, naissent, At The End You Will Love Me, mus par l’envie à la fois de comprendre son ami et de transcender le discours posé par les médecins. Trois ans plus tard, l’artiste-chercheuse Caroline Bernard, venue aux arts vivants par nécessité sociale et par des rencontres, continue de porter au plateau les lieux de ses engagements qui l’animent au quotidien. Avec cette performance, elle poursuit son (en)quête vers l’(im)possible guérison – sous-titre de sa précédente performance. Elle offre un espace et du temps pour faire émerger et entendre des récits de personnes concernées, dont celui de Saïd Mezamigni, au plateau avec elle, faisant ainsi de l’expression : ne pas travailler sur, mais avec les gens, une réalité. Et par la même elle permet à la vie, et ses nécessités, d’entrer dans le processus créatif.
Des chemins parallèles
Si Don’t Make A (psycho)Drama! We’re Still in A Game…est une continuité du travail de la performance précédente, (parce qu’au centre se trouve à nouveau cette amitié, forte et fondamentale, avec Valerio), elle est cependant autonome. Elle sera traversée par deux questions constitutives. La première, jusqu’où t’accompagner ? qui, loin d’être une déclaration romantique d’amour inconditionnel, se place du côté des proches-aidant·e·s ou aimant·e·s, parce que, comme le mentionne Caroline, « parfois tu ne sais pas si tu aides, mais tu sais que tu aimes. Parfois tu veux aider et c’est la cata ! » Faisant quelquefois l’expérience difficile de l’incapacité à aider, ces personnes peuvent également se mettre elleux-mêmes en danger, et encore plus quand l’accompagnement se fait dans un système inadapté et si éloigné de la vie. L’interrogation est alors non seulement légitime mais également nécessaire : est-ce que l’on continue, ou est-ce qu’on s’arrête dans cette voie-là ? Et quelles sont les autres possibles ? Et la deuxième question que soulève Caroline, qu’elle a elle-même posée à un psychiatre marseillais un jour : est-il possible de s’en sortir ? C’est à partir de cet endroit que la parole de Saïd se fait entendre. Aujourd’hui pair-aidant (à savoir médiateur entre les patient·e·s, les soignant·e·s et parfois les familles), il a vécu un parcours extrêmement lourd, avec plusieurs années d’hospitalisation. La voie psychiatrique ne lui a offert aucune solution, cependant c’est au moment où il a compris la relativité de son diagnostic que s’est amorcée une remontée, une voie de reconstruction et de relèvement.
La transcendance par le plateau
L’histoire de Saïd est non seulement touchante mais elle explique quelque chose qui est à la base de l’acte créatif de Caroline : la possibilité de transcender le discours médical par les arts, par le plateau, par quelque chose de plus grand, « c’est grâce à une forme de spiritualité qu’il s’est élevé de sa condition psychiatrique, c’est ce qui est fondamental dans ce que nous avons à raconter là ». Parallèlement, le mieux-être chez Valerio, affirme Caroline, passe également par le fait « d’arrêter de jouer le jeu de la psychiatrie, pour jouer celui de l’art. […] L’art c’est la vie, c’est un endroit de transcendance de ce qui est souffrance. Un endroit où l’on peut créer une écoute plus grande, plus ouverte, moins stigmatisante, moins jugeante. » Si Valerio était présent il y a trois ans pour la précédente performance, cette fois il ne pourra certainement pas être au plateau. Encore une fois, la vie prend part à la création, et pour le moment la priorité est ailleurs. Cependant, il sera là en tant qu’auteur des parties filmées du dispositif scénique. Performance multimédia, Don’t Make A (psycho)Drama! We’re Still in A Game fait se rencontrer la réalité et le jeu « on ramène le dur du terrain dans la fraction du plateau, et on joue de ces écarts ». Ainsi dans une scénographie épurée, surgit, grâce notamment à la vidéo, le bitume de Marseille, lieu qui relie l’ensemble des voix.
En quête de voix
Caroline, dans notre échange très riche, souligne plusieurs crises autour de la psychiatrie, qui sont des lieux qui viennent éclairer à la fois pourquoi ce système ne fonctionne pas et mettre en lumière des questions importantes et fondamentales, ainsi que des éléments constitutifs de la performance telle que la mise en voix des récits. On est face à une « crise de la disponibilité » ainsi qu’une « crise des récits ». La parole devient le lieu du symptôme pour les personnes avec un diagnostic psy. Elle est disséquée, analysée, à la recherche de toute incohérence pour ensuite être déclarée, à tout jamais, dérangée. Elle est alors décrédibilisée, réduite au silence ou alors elle n’est entendue que comme un délire. Si parfois, en effet, il y a délire, cependant rares sont les personnes qui prennent le temps et la peine d’écouter ce qui se cache derrière. En réponse, au plateau, iels souhaitent au contraire redonner une place à ces récits et créer une possibilité d’écoute.
Avec cette performance qui travaille avec les santés mentales, pour reprendre sa formule, Caroline nous invite, du 20 au 30 mars, à un spectacle qui célèbre la force des formes artistiques, et qui loin de prendre le ton des lamentations, est une invitation à partager des récits et à faire communauté avec et autour d’eux.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Don’t Make A (psycho)Drama! We’re Still In A Game… de Caroline Bernard, à Maison Saint-Gervais, du 20 au 30 mars 2025. Jeudi 27 mars de 13h-16h rencontre En Choeur suivie d’une représentation RELAX.
Avec Caroline Bernard, Saïd Mezamigni, Dominique Falquet
https://saintgervais.ch/spectacle/dont-make-a-psychodrama-were-still-in-a-game-2/
Photos : ©Morgana Planchais (banner), ©Caroline Bernard
[1] Les citations sont tirées de l’entretien du 9 mars que j’ai partagé avec Caroline Bernard – la citation : « La solution, c’est la vie », qu’elle me partage, vient d’un échange entre un psychiatre marseillais et elle, lors d’une résidence de création avec Valerio.