Les réverbères : arts vivants

La véritable fausse histoire d’une supercherie

Arrivé en plein filage, ce qui frappe d’emblée est la force du collectif : une troupe d’une vingtaine de personnes avec quatre danseuses et cinq musicien·ne·s. L’ensemble semble déjà bien rodé, il faut dire que nous ne sommes qu’à quelques jours de la première de ce Monstre, dixit le metteur en scène Jacques Sallin, qui aura lieu dès mercredi prochain au domaine de Maison Forte de Troinex. Rencontre avec la troupe du Miracle Molière.

La Pépinière : Comment est née l’idée de ce spectacle ?

La Troupe : C’est une vieille histoire dans l’Histoire : tout ne serait pas très clair dans les rapports entre Corneille et Molière, c’est le moins qu’on puisse dire… En effet, depuis des dizaines d’années, il y a débat entre des moliéristes et des iconoclastes qui pensent que Jean-Baptiste aurait demandé de l’aide à Pierre pour devenir le génie qu’il est. Molière est-il l’unique auteur de ses pièces ? Corneille était-il son prête-plume ? Pierre aurait-il écrit les textes et Jean-Baptiste les auraient-ils farcisés ? Dans notre spectacle, nous avons inversé le propos. C’est Corneille qui est en panne d’inspiration et sa femme va chercher Molière pour lui proposer un plan gagnant-gagnant…

La Pépinière : Le pitch du texte ?

La Troupe : C’est Molière qui est jeune et qui a plein d’idées. C’est Corneille qui est vieux et qui a plein d’argent. Chacun a une femme et ce sont elles, dans notre histoire, qui vont prendre le pouvoir. Ça parle d’une association d’intérêt, à la manière de Mozart et Salieri ou de l’anémone et du poisson-clown…  C’est un hommage au théâtre tel que nous l’aimons et aux histoires telles que nous les racontons. Il y a un mélange de genre historique et moderne, de fiction et de réalité, de drame et d’humour, le tout sur fond de conflits à la cour de Louis XIV…  Dans Le Miracle Molière, le théâtre explore le temps et se régale de ce type d’affrontement.

Le texte est construit avec des scènes en alexandrins écrites par Jacques qui sont elles-mêmes entrecoupées avec des extraits du Malade imaginaire… Mais des alexandrins sans le rythme attendu et pesant du train sur les rails (tchou, tchou, tchou, tchou, tchou…), donc libres de phrasé… avec un double espace de jeu entre ce qui se passe sur un chariot qui concerne le Malade et ce qui se passe au sol qui raconte le Miracle…

La Pépinière : Pourquoi jouer dans des domaines viticoles ? Pour retrouver l’esprit des tréteaux, pour boire du bon vin ou/et pour d’autres raisons ?

La Troupe : Il y a une double proposition faite au public : vivre une soirée théâtrale originale en plein air, dans de belles cours de fermes et passer ensuite un moment mémorable dans ces lieux authentiques et charmants autour – il est vrai – d’un somptueux breuvage local. Il y a ainsi un mélange des mondes très sympa entre le théâtre et le vin. Sans parler d’un certain retour aux sources avec l’esprit des tréteaux et saltimbanques. L’itinérance permet en effet d’amener le théâtre au peuple et non l’inverse. Nous allons ainsi, sept semaines durant, sous le soleil de l’été, cheminer dans tout le canton, déposer notre chariot et tout notre magnifique décor dans sept lieux différents[1] avant de tout rempaqueter… comme par magie. C’est un miracle, on vous dit.

La Pépinière : Et ce n’est pas que du théâtre… Il y a aussi de la musique en direct, des voix et de la danse…

La Troupe : Oui, dans la Compagnie La Mouette, nous essayons depuis longtemps de mélanger des genres, donc de créer des spectacles denses, surprenants, pluridisciplinaires. Nous aimons bien rajouter des touches que personne n’attend, comme des jolis coups de théâtre ci et là. À ce propos, la rencontre entre Jacques (texte), Antonio (danse) et Magali (musique) a été déterminante. Il faut en effet avoir la chance de mettre ensemble les bonnes personnes pour qu’un tel projet puisse réussir. Antonio nous a par exemple raconté que Molière était à sa manière un précurseur de la comédie musicale, donc de la pluridisciplinarité, donc d’une certaine idée d’un art total. Et Magali s’est inspirée de ces échanges pour proposer un mélange de musiques d’époque et contemporaines des plus chatoyants aux oreilles. L’orchestre « live » est ainsi composé de deux accordéons, d’un violon, d’une trompette et d’un percussionniste. Le tout demande beaucoup d’agilité et permet d’ajuster le rythme du spectacle si nécessaire. Les parties dansées quant à elles sont des chorégraphies originales signées par Antonio pour quatre danseuses qui amènent une dimension plus métaphorique à l’histoire.

La Pépinière : Pour quelles raisons avez-vous embarqué dans cette belle galère ?

La Troupe : Pour le projet en soi. Pour l’énergie communicative et la créativité de Jacques. Pour l’esprit de troupe. Pour l’aventure humaine. Et aussi pour le bon vin.

La Pépinière : Vous m’avez définitivement convaincu. Mais quels autres arguments avez-vous pour donner envie au public de venir en nombre votre incroyable spectacle ? 

La Troupe : Parce que c’est toujours intéressant de parler de Molière et Corneille. Parce qu’il ne faut pas rechigner sur une soirée estivale au théâtre (il va faire beau, si, si, si). Parce que le théâtre est intelligent quand il pose des questions sans donner de réponse. Parce que le croisement des arts est une nourriture de l’esprit. Parce qu’il est rare de voir un spectacle de troupe, une troupe qui s’engage corps et âmes et joue si bien (sans fausse modestie). Parce qu’il fait toujours bon rire. Parce que les décors et les costumes sont magnifiques. Et parce que, si vous avez aimé Amadeus, vous adorerez le Miracle Molière.

La Pépinière : Ah oui d’ailleurs, pourquoi ce titre ?

La Troupe : Il y a un mystère qui reste entier : Comment passe-t-on en six mois des panouilles de La Jalousie du Barbouillé au chef d’œuvre de l’École des Femmes ? Corneille or not Corneille ? Pour les moliéristes ulcérés, cette remise en cause de la paternité des textes du plus grand génie théâtral de tous les temps tient de la bouffonnerie la plus profonde. Bref, on n’a pas de réponse. En tout cas, on n’en donne pas. C’est un miracle… Et c’est un beau titre, non ?

Propos recueillis par Stéphane Michaud

Infos pratiques :

Le Miracle Molière, à découvrir tout l’été dans différents domaines viticoles genevois.

Texte et mise en scène : Jacques Sallin

Chorégraphie : Antonio Gomes

Musique : Matthieu Biesler

Avec : Chaquib Ibnou-Zekri, Olivier Sidore, Serge Clopt, Maryline Bornet, Nathalie Gantelet, Myriam Siluvangi, Laurence Francisoz, Ioanna Vretakakou, Ludivine Favre-Heubi, Lea Batoua, Magali Bossi, Sylvie Bossi, Christophe Zimmermann et Barbara Goldenberg.

Décors : Eric Debonneville et Pierre Agoston

Tous les renseignements pour les lieux et les dates sur le site de la Cie de la Mouette.

Photos : ©Simon Chamay (banner), ©La Mouette (affiche) et © Mireille Vogel (photos dans l’article)

[1] Ce spectacle itinérant et en plein air se jouera durant l’été 2024 en campagne genevoise. Une production qui passera de domaine en domaine viticole du canton sur les deux rives en deux périodes de trois semaines. Domaine de la Maison Forte à Troinex, Domaine des Vignolles à Bourdigny, Domaine de la Vigne Blanche à Cologny, Domaine du Crest à Jussy, Domaine des 3 Etoiles à Pessy, Domaine des Pendus à Peney et au Château de Dardagny.

Stéphane Michaud

Spectateur curieux, lecteur paresseux, acteur laborieux, auteur amoureux et metteur en scène chanceux, Stéphane flemmarde à cultiver son jardin en rêvant un horizon plus dégagé que dévasté

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