Les réverbères : arts vivants

La violence sous la peau

Sabrina Chézeau écrit, interprète et met en scène Une peau plus loin, un spectacle vibrant et impactant sur les violences éducatives ordinaires. Une performance saluée par le public du Festival La Cour des Contes, qui se déroulait à Plan-les-Ouates du 15 au 25 mai 2025.

Dans une scénographie épurée, accompagnée du multi-instrumentiste Guilhem Verger qui a mis en musique le spectacle, Sabrina Chézeau interprète principalement Victor, un adolescent en quête de lui-même. Avec sa seule amie Amina, et Lucky, le marginal qui vit en face du collège, il essaie de trouver sa voie (et sa voix) face à une famille dysfonctionnelle et un quotidien pesant dans son établissement scolaire. La comédienne jongle avec une aisance admirable entre Victor, encapuchonné dans son sweat rouge, les poings serrés et la gêne perceptible dans son corps, et la myriade de personnages gravitant autour de lui.

On retrouve principalement sa famille, notamment le père banquier qui ne souhaite que le meilleur pour son fils, quitte à lui mettre une pression démesurée, allant jusqu’à l’humiliation. Sa mère, dépassée par la charge des enfants et de son travail, perd ses moyens et sa patience face à la petite sœur de Victor, pleine de questions et jouant avec les limites de l’autorité. Ses profs ne sont pas en reste : notamment M. Lopez, le prof de sport, qui exclut d’office Victor du match de rugby, car ce n’est pas pour les fillettes selon lui, et une hilarante prof de math aigrie, dépourvue face aux blocages de ses élèves pour sa matière. Mme Labiche, enseignante de français ayant encore foi en les jeunes, est la seule à croire en Victor et l’encourage à écrire ses slams pour le concert de fin d’année.

Derrière ces figures reconnaissables pour les jeunes occidentaux, Sabrina Chézeau cherche à questionner les violences éducatives ordinaires, présentes dans beaucoup d’aspects de la vie des enfants. Écrite grâce à une collecte de témoignages recueillis auprès de jeunes, la pièce reflète les différents visages des violences ordinaires rencontrées au cours de l’éducation d’un enfant, que ce soit au niveau psychologique, par des remarques dévalorisantes, ou bien par les châtiments corporels. Le travail de Sabrina Chézeau s’articule autour de cette thématique centrale : elle part du postulat que la racine de la violence présente dans la société commence par la manière dont nous traitons nos enfants. En laissant les plus forts harceler les plus faibles, en minimisant les agressions physiques et verbales, les maux causés et non résolus poussent à reproduire ces comportements soit contre les autres, soit contre soi-même.

La réponse apportée par la comédienne pour parer ce cercle vicieux, se trouve dans l’écoute et dans l’encouragement du potentiel de chacun·e, à l’image de la professeure de français qui organise le concert de slam, ou de Lucky, qui valorise Victor pour ce qu’il est et ce qu’il fait, notamment réussir à cultiver son potager. Amina, la fille aux cheveux courts pour qui tout semble facile, l’aide aussi dans son épanouissement, en le poussant à dire non quand il le faut. La Terre-mère, ou Gaïa, ou Pachamama comme vous préférez l’appeler, avec son génial accent espagnol, vient également à l’aide de Victor en le mettant face à ses ancêtres, et toutes les quantités de colères et rancunes accumulées dans sa jeune vie à force de ne pas s’exprimer.

En alternant sans cesse de registre, du drame à la comédie, en passant par le fantastique, et en faisant vivre au public une large panoplie d’émotions, Une peau plus loin ne se montre jamais moralisateur. Il met simplement en exergue les conséquences que peuvent avoir les violences mentionnées plus haut, notamment sur les personnes sensibles. Le vocabulaire de la pièce et le rap, utilisé par Victor comme exutoire, en font une pièce qui touche les plus jeunes grâce à sa forme, mais reste tout aussi impactante pour les moins jeunes. La musique, qui donne un rythme soutenu tout au long de la performance, qui se termine par un impressionnant slam sur le droit des enfants, accompagne sur mesure le texte de Sabrina Chézeau, avec une vraie complicité sur le plateau entre le musicien et la comédienne. Cette recette qui marche permet de tourner dans les établissements scolaires, et peut être accompagnée par des ateliers et des bords de scènes sur les violences ordinaires, afin de sensibiliser le plus grand nombre de personnes. Une preuve de plus de l’importance de la culture.

Léa Crissaud

Infos pratiques :

Une peau plus loin, écrit par Sabrina Chézeau, aidée à l’écriture par Luigi Rignanese, jouée le 23 juin 2025 à La julienne, dans le cadre du Festival La Cours des Contes.

Mise en scène par Sabrina Chézeau, aidée par Carmela Acuyo

Avec Sabrina Chézeau au récit et Guilhem Verger à l’accordéon et au saxophone

Photos : ©KOVisual

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *