La marionnette, un art Vivant
Le week-end du 23 au 25 mai, le Théâtre des Marionnettes de Genève, pour clore sa saison, accueillait une pluralité de créations, illustrant l’immense diversité des projets et des possibilités de la marionnette et du théâtre d’objet.
Les futurs d’aujourd’hui[1]
Dans le préau de l’École Hugo-de-Senger, un grand castelet, gris et rouge, est installé. Bientôt seront jouées, par la Cie Arnica, 3 courtes histoires imaginées par l’autrice Gwendoline Soublin, à l’humour grinçant et impertinent (elle est également à l’écriture de la prochaine création annoncée de la compagnie, Specimen). Intitulé Castelet is not dead, ce spectacle mis en scène par Emilie Flacher mêle à un texte ultracontemporain une forme traditionnelle : le castelet de jardin et la marionnette à gaine. Dissimulé·e·s derrière un long rideau de lamelles rouges, les comédien·ne·s, leurs mains gantées de marionnettes, donnent vie, à bout de bras, à des personnages d’un futur très immédiat : le robot Poto qui n’a de cesse de répéter la même blague, de parler en citations et de diriger les faits et gestes d’une famille, Elon L’Ultrabright qui n’hésite pas à profiter des fragilités et des rêves des gens pour se faire beaucoup d’argent, ou encore un I-Guignol et un I-Godzilla. L’ensemble de ces personnages et de ces histoires, drôles, émancipatrices, politiques et engagées, renvoient à des interrogations fondamentales sur les mutations humaines, l’intelligence artificielle et notre quête du bonheur, ou pour reprendre une formulation d’Emilie Flacher, elles nous poussent à nous demander : Quel·le humain·e voulons-nous devenir ? Un spectacle tout public, avec plusieurs niveaux de lecture, dont on aime tout particulièrement les moments interstitiels, entre les saynètes, avec la présence de marionnettes à l’énergie tellement punk ! Un joli projet qui fait refleurir les parcs et les lieux publics d’histoires et de rencontres.
La marionnette côté jardin
Fleurir, c’est également ce qui réunit, et sans concertation, les trois propositions du Cabaret en Chantier. Chacune à sa manière a mis à l’honneur une végétation vivante et vibrante. Les trois projets ont été choisis suite à un appel lancé par le TMG. Ils ont reçu un temps de création et un accompagnement privilégié avec des mentorats dans les domaines de la construction, de la technique, de l’écriture ou encore de la dramaturgie. Chaque année, en prenant des formes différentes, le cabaret met en lumière des formats courts et l’exploration de nouvelles approches marionnettiques. Avec Le Souffle des pierres, d’Emilie Bender et Elise Merrien, le théâtre d’objet s’est mêlé à l’art de la magie nouvelle pour donner vie à un univers fantomatique, de branches et de pierres, tissé de récits autour d’un lieu mystérieux enveloppé par une création sonore ultra-ingénieuse de Gérald Wang. Si l’on frissonne, c’est peut-être un peu de peur, mais surtout de poésie et de beauté. En route, ensuite pour le Pays Vert, devenu véritable décharge et montagne de plastique. Inspiré·e·s librement de La fée et le Géomètre de Jean-Pierre Andrevon, Sarah Frund et Yan Juillerat, en créant des liens avec le public, explorent visuellement plusieurs techniques et matières : la marionnette, mais également le rétro-projecteur et la fumée. Avec ce conte écologique, iels donnent la parole à ceux et celles qui souhaitent changer le monde et nous rappellent la force du collectif. Tic, tac, tic, tac, tic, tac…Vous entendez ? Direction Le Pays du Jamaisjamais. Joël Hefti propose une courte adaptation de Peter Pan au visuel très très très impressionnant. La salle est plongée dans le noir. Et quand la lumière s’allume nous découvrons un immense, un gigantesque crocodile ! Le dispositif, avec un parti-pris visuel fort, est ultra-ingénieux : l’animal est à la fois marionnette et espace scénique. Au sortir de ce Cabaret en Chantier, on est évidemment touché·e par les histoires racontées mais également fasciné·e et enthousiaste par la découverte de l’étendue des possibles de la marionnette et du théâtre d’objet. On saisit toute la force de l’imaginaire ! Trois projets, trois moments magiques qu’on espère découvrir, bientôt, dans des formats plus longs.
Côté Cour
Et ce n’est pas fini, ce weekend le TMG proposait également une Masterclass « La marionnette pour traverser les territoires, réparer les traumas, partager des vécus », en collaboration avec TIGRE[2], en présence d’Isabelle Matter, marionnettiste, metteuse en scène et directrice genevoise du Théâtre de Marionnettes qui a travaillé en Colombie et de l’artiste, performeur, marionnettiste et scénographe palestinien Jeries Abu Jaber. Ce moment de partage et d’échange a montré la force de la marionnette, non seulement comme possibilité de faire émerger des récits, mais également comme un appel à la joie et une invitation à ouvrir nos perspectives et nos regards sur ce qui nous entoure.
Finalement, nous pouvions également découvrir, dans la cour du théâtre, huit lambé lambé, huit boîtes à spectacle, huit écrins aux formes et aux couleurs différentes renfermant, comme un secret, de très courtes histoires, des spectacles miniatures, pour 1 à 5 spectateur·ice·s. Des dispositifs qui créent la rencontre et s’inscrivent au cœur des espaces publics. Nous avons assisté à une représentation colorée du cirque des curiosités, et découvert, ou redécouvert, dans le cœur de l’Umanoscope 4 du Cockpit, trois délicieux classiques gantés, sans parole, pour 4 mains et 10 yeux. Au menu, et à choix : Molière, Sophocle ou Shakespeare !
Émerveillé·e·s des possibilités et des pouvoirs de la marionnette, la tête pleine d’images drôles et percutantes, le corps plein de rires et de révoltes, nous quittons le Théâtre des Marionnettes mais non sans un prochain rendez-vous, le 12 juin prochain pour la présentation de la saison prochaine, qui nous promet de nous en mettre Plein les Yeux.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Castelet is not dead de Gwendoline Soublin, du 23 au 25 mai 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Mise en scène : Emilie Flacher
Avec Guillaume Clausse, Virginie Gaillard, Cristof Hanon
Marionnettes : Florie Bel, Priscille du Manoir, Emilie Flacher et Pierre Josserand avec le soutien d’Alice Louveau
Scénographie : Castelet de la Cie Emilie Valantin / Nicolas Valantin
Le Souffle des Pierres, de Emilie Bender et Elise Merrien, du 23 au 25 mai 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Avec Emilie Bender, Elisa Merrien, Lisa Marchand-Fallot
Dramaturgie : Raquel Silva
Regard extérieur : Tchavdar Pentchev
Regard magique : Antoine Terrieux
Création sonore : Gérald Wang
Création lumière : Barthélémy Gallopin
Scénographie : Lisa Marchand-Fallot
Printemps Lutin très librement inspiré de La Fée et le Géomètre de Jean-Pierre Andrevon, du 23 au 25 mai 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Mise en scène : Guillaume Pidancet
Avec Sarah Frund, Yan Juillerat
Construction marionettes: Sarah Frund
Construction scénographique : Guillaume Pidancet, Yan Juillerat
Mentorat construction : Yangalie Kohlbrenner
Mentorat manipulation : Samuel Beck
Le Crocodile de Pan, de Ludovic Chazaud (Adaptation), du 23 au 25 mai 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Mise en scène : Joël Hefti
Avec Alicia Packer, Céline Goormartigh
Création sonore : Pierre Vonnet
Mentorat Marionnettique : Alexandra Vuillet
Construction : Joël Hefti
Les boîtes magiques avec Christelle Nicod, Alain-Serge Porta, Diana Yol, Felicia Rosenke, Yuval Dishon, Laure-Isabelle Blanchet, Xavier Loira.
Photos : ©TMG, ©Arnica, ©Joël Hefti, ©Tina Peissker, ©Cockpit
[1] Titre inspiré du “Castelet is not dead” où l’on pouvait lire : ”Des histoires en direct du futur d’aujourd’hui”
[2] TIGRE est une association créée à Genève, en juin 2020, qui a pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des producteur·ice·x·s de théâtre indépendants et professionnel travaillant et/ou étant domicilié·e·x·s dans le Canton de Genève.