Les réverbères : arts vivants

Le courage, c’est aussi savoir rire face à l’atrocité

Dans Le courage de ma mère, George Tabori raconte le chemin aller de sa mère à Auschwitz et son surprenant retour, le soir même. Au Pitoeff, jusqu’au 9 février prochain, Eric et sa Compagnie 94 adaptent et mettent en scène cette incroyable histoire.

Ce texte, c’est avant tout un puissant récit. Difficile donc d’adapter cela aux planches d’un théâtre. Grâce à une mise en scène dynamique, Eric Salama réussit toutefois ce tour de force. Tout commence avec la narration, portée par Jean-Luc Farquet (George). Il est soutenu dans son entreprise par Alexandra Tiedemann et Olivier Lafrance, pour un récit à trois voix. Si on ne sait d’abord pas trop ce qu’ils représentent, bien vite, ils prennent place dans l’histoire, interprétant des personnages ayant croisé la route de la mère, illustrant ainsi la narration. Seconde astuce : la mère est là, sur scène, n’hésitant pas corriger les approximations de son fils… Ainsi, avec ce récit polyphonique, ils parviennent à conter l’incroyable épopée de cette mère, arrêtée un matin de 1944 à Budapest alors qu’elle se rendait chez sa sœur pour une partie de rami, déportée à Auschwitz, et revenue le soir-même pour jouer aux cartes.

Un spectacle à plusieurs vitesses

La pièce débute sur un ton léger. On est alors surpris, voire un peu gêné, d’assister à un spectacle s’apparentant à une comédie, au vu du propos. Les personnages, à l’image des deux policiers retraités et réengagés pour cause de sous-effectif, sont assez caricaturaux. Si le spectacle continuait sur ce ton presque grotesque, l’intérêt se perdrait. C’est là que la mise en scène d’Eric Salama démontre toute sa force : plus l’horreur approche, plus le ton et le jeu s’affinent. On suit ainsi l’évolution de l’état d’esprit de la mère, puisque c’est de son récit qu’il s’agit. Ne comprenant d’abord pas ce qui lui arrive, elle le prend à la légère, d’où le ton décalé et comique. Face à la détresse de ses comparses de wagon, son attitude change… Le ton se veut dès lors plus intime, le jeu plus aiguisé. Olivier Lafrance incarne le général allemand qui traite le cas de cette femme, avec le soupçon d’accent qu’il faut, sans en faire trop, tandis qu’Alexandra Tiedemann continue d’explorer les personnages étranges qui gravitent autour : l’ami du père – un tantinet mythomane – croisé là-bas, le jeune soldat impatient… Cette galerie de personnages donne lieu à un spectacle qui montre toute la dimension de l’horreur et du parcours de cette femme. Jean-Luc Farquet, d’abord très expressif dans sa gestuelle, devient lui aussi plus calme en racontant les événements, sa voix se pose, n’ayant plus envie de rire de la situation. On regrettera peut-être les dernières scènes, où le récit du général allemand est un peu surjoué, comme les accents juifs lors de la partie de carte. Mais cela n’enlève rien à la qualité globale de ce spectacle.

Une mise en scène toujours en mouvement

Si la polyphonie de la narration rend cette pièce dynamique, d’autres choix de mise en scène y contribuent. La gestuelle, d’abord exagérée des personnages – on pense à la course-poursuite du tram – permet de nombreux mouvements. Le décor n’est composé que de parois avec des affiches en lien avec l’Histoire, de chaises et d’un petit plateau surélevé. Au gré des scènes, le décor est modulé par les comédiens, pour figurer la rue, le train ou le bureau du général. Les costumes sont également accrochés à un porte-manteau. Les changements se font ainsi à la vue du spectateur, qui découvre les personnages au fur et à mesure. Enfin, le spectacle serait incomplet sans les intermèdes musicaux, grâce à l’accordéon de Géraldine Schenkel, parfois accompagnée par les voix des comédiens, tantôt en allemand ou en yiddish. On plonge ainsi dans l’univers intérieur de la mère, partagée entre deux cultures.

Le courage de ma mère, c’est un spectacle audacieux, qui prend le parti du rire. Car le courage, c’est aussi ça, savoir rire face à l’atrocité, sans s’en moquer, pour ne pas l’oublier. Avancer, coûte que coûte. Après avoir perdu de nombreux membres de sa famille, dont son père, dans les camps de concentration et d’extermination, George Tabori choisit ainsi de mettre en avant celle qui est revenue. Une belle preuve de détermination.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le courage de ma mère, de George Tabori, au Théâtre Pitoeff du 28 janvier au 9 février 2020.

Mise en scène : Eric Salama

Avec Juliana Samarine, Alexandra Tiedemann, Géraldine Schenkel, Olivier Lafrance, Jean-Luc Farquet

https://www.facebook.com/events/217154819282445/

Photos : © Isabelle Meister

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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