Le Hibou et le Renard

Monsieur de La Fontaine n’aurait pas dit mieux – Les dentiers de la Gloire de et avec Pierre Miserez et Thierry Meury – au P’tit Music Hohl jusqu’au 6 décembre.

Thierry Meury et Pierre Miserez, la soixantaine en moyenne, habitués au succès, amis depuis des lustres se présentent au Festival Hauterives pour rire et tous deux surpris, attendent de passer une audition. Un énième festival d’humour, petit rejeton de Montreux Comedy dont le directeur élevé au rang de directeur de casting, crime de lèse-majesté, les fait attendre avant de les auditionner. Seraient-ils en fin de carrière à courir le cacheton… en fin de course… Le temps est-il venus où les gags ne font plus rire qu’eux-mêmes et encore timidement ?

« Qu’est-ce que tu fiches-là ? Je suis là pour le festival… Ah, moi aussi. »

L’attente se prolonge. En attendant de passer l’audition, les deux diablotins discutent, évoquent leurs souvenirs, racontent leurs salades et tout à coup… Pas de duel, pas de déception de voir l’autre au même endroit. Ils seront engagés ou non, mais pas l’un à la place de l’autre. C’est un peu dommage, la rivalité offrant bien des perspectives, de moments embarrassants et réjouissants à dire du mal d’autrui, à mettre en évidence la compétition entre gens de spectacle : un monde où l’on s’embrasse beaucoup d’ailleurs.

Alors, le vieil hibou qu’est Meury, trente-cinq ans de scène au compteur bougonne, tandis que le renard qu’est Pierre Miserez du haut de ses cinquante ans de planche tente de l’amuser en sortant un sketch de sa mémoire. Qui n’a jamais vu ce dernier imiter le rhododendron de la T’chaux, a perdu beaucoup. Meury le regarde, avec le sourire de celui que l’on tente de faire rire en pleine séparation amoureuse. Alors, pour rendre la politesse à son compère, il va lui aussi sortir de son chapeau un souvenir de scène extrait du spectacle : Je ne vous aime pas !  « Faire un don à ceux que l’on ignore et moins savoureux que de refuser l’aumône à ceux que l’on connaît ! » Vachard et meuresque !

Les deux artistes se rendent la politesse à tour de rôle et quand Miserez dans son tour de chant évoque Henri Dès, il faut là encore avoir vu Meury en grenouille pour comptine enfantine. Drôle et délirant !

On revoit les deux humoristes dans leurs pots-pourris avec joie. On se souvient de tel trait d’esprit de Thierry : « Un don pour les victimes ! Pour les victimes, est-ce que cela vaut encore la peine ? » On retrouve les ruptures de texte de Pierre, teintées d’accent de Neuch’. « C’est pas gentil ça ! » Chacun se plaît à jouer pour l’autre durant une heure pour notre plaisir.

Les deux hommes s’entendent bien, on le sent. Les deux artistes tout autant et c’est peut-être là où le spectacle manque un peu de nerf. Leur réelle amitié réciproque leur retire une part de la liberté d’être caustique, grinçant, vachard. Les deux personnages, puisque chacun est dans son rôle se retrouvent dans un huis-clos sans que la rivalité encore une fois ne l’emporte, sans que l’âge où l’EMS ne les menaces. Le plus grand conflit s’attarde sur un frigo récalcitrant, présent comme l’arlésienne, qui finira bien par céder. Son contenu désaltèrera les comédiens, laissant un peu la salle sur sa soif. Non sur les extraits des deux univers de chacun que l’on retrouve avec joie, comme un vieux Sylvant, mais bien sur la sauce qui les relie.

On retrouve sur scène le drap rouge des spectacles de Pierre Miserez, la bouteille de Thierry Meury… Il manque un peu du bonheur de la folie dans la mise en scène, si présente chez le Hibou et le Renard. Excusez-moi !

Jacques Sallin     

Infos pratiques :

Les Dentiers de la Gloire, de Pierre Miserez et Thierry Meury, au P’tit Music Hohl, du 3 novembre au 6 décembre 2023

Mise en scène : Fréderic Martin

Avec Pierre Miserez et Thierry Meury

Photos : © Franck Chaussivert