Les réverbères : arts vivants

Le poisson belge : à la recherche d’une bouffée d’oxygène

Le Casino Théâtre de Rolle accueillait le weekend dernier Le poisson belge de Léonore Confino, dans une mise en scène de Lucie Rausis. Margot Van Hove et Roland Vouilloz excellent dans ce petit bijou d’humanité et d’émotion, où apprivoisement et réparation sont les maîtres-mots.

Tout commence sous la pluie, à un arrêt de bus. Une jeune fille un peu insolente (Margot Van Hove), consciente que ses parents ne viendront plus la chercher à l’heure qu’il est, est recueillie, pour la nuit dans un premier temps, par celui qu’elle nomme « une grande monsieur » (Roland Vouilloz). S’ensuit une cohabitation qui durera plus longtemps, entre ces deux drôles d’êtres : elle, d’un côté, qui veut à tout prix respirer et ira jusqu’à se créer des branchies ; et lui, de l’autre, qui fréquente d’étranges sites de rencontres et se nourrit exclusivement de sachets lyophilisés. Tous deux prendront le temps de s’apprivoiser pour mieux s’entraider et se réparer mutuellement.

Entre humour et émotion

À la lecture de ce synopsis, l’histoire pourrait paraître étrange : un étrange cinquantenaire qui recueille une petite fille, allant jusqu’à la laisser prendre un bain chez lui, il y a de quoi questionner. Pourtant, l’écriture de Léonore Confino ne laisse pas de place à ce genre d’interrogation. Tout se fait de manière naturelle, sans jugement ni a priori sur ce qui pourrait advenir entre ces deux êtres. On se concentre sur la relation d’amitié qui se crée et se développe, avec cette intuition, dès les premières minutes, que chacun des personnages aura un rôle important à jouer dans la vie de l’autre.

Dans le texte de Léonore Confino, il y a donc beaucoup d’humour : on pense à cette jeune fille totalement impertinente et particulièrement maligne. Elle se rend compte de beaucoup de choses, en sait plus qu’on ne le croirait sur l’éducation et le comportement à adopter avec une fille dans son genre. La voilà qui a le don de poser les questions les plus inattendues et indiscrètes, pour mettre son vis-à-vis dans l’embarras. Lui n’est pas en reste, à faire tant de mystère, avec ses tenues excentriques, ses talons hauts et ses gestes maniérés. Sans oublier ses discussions sur des sites de rencontre où les adhérents aiment se faire du mal… Il y a, ainsi, beaucoup de spontanéité dans les dialogues, ce qui donne lieu à des échanges surprenants et très drôles. On évoquera également cet étrange contraste entre l’intérieur de l’appartement, très modeste et classique, qui ne voit presque jamais la lumière du jour, et l’incroyable salle de bains – le spa, devrait-on dire – qui fait le plus grand bonheur de cette jeune fille qui ne rêve que d’être un poisson. Petit à petit, la relation entre les deux évolue : iels se confient, s’ouvrent l’un à l’autre, et l’humour fait place à une forme d’entrée dans une intimité touchante et émouvante.

En quête d’identité

Alors que tout pourrait les opposer : leur âge, leur apparence physique, leur façon d’appréhender le monde ; ces deux personnages ont paradoxalement beaucoup en commun, principalement le fait de ne pas trouver leur place dans le monde. Tous deux présentent une identité différente de celle attendue. Lui, « grande monsieur », aimerait assumer au grand jour la femme qui sommeille en lui. Elle, de son côté, a le sentiment de se noyer dans ce monde, d’être si différente que tout le monde la rejette, à commencer par ses parents. D’où cette idée de devenir un poisson et de développer des branchies pour évoluer dans ce monde qui la submerge totalement.

Ce qu’iels veulent, c’est affirmer leur identité, leur différence. Surtout, iels aimeraient se libérer, réparer ce qui semble cassé par le regard des autres. C’est comme si iels devaient se trouver mutuellement pour le faire. La fin du spectacle éclaire d’ailleurs cette quête. Mais pas question ici de spoiler, au risque de gâcher toute la beauté du propos. On dira simplement que, si ces deux personnages sont en quête d’une bouffée d’oxygène, cette dernière est d’abord là pour nous, spectateur·ice·s : une brillante performance, avec une mise en scène fine et intelligente au service d’un texte absolument époustouflant.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le poisson belge, de Léonore Confino, les 13 et 14 avril 2024 au Casino Théâtre de Rolle, puis en tournée le 18 mai 2024 au Théâtre de l’Arbanel à Treyvaux, puis du 21 au 26 mai 2024 au 2.21 à Lausanne.

Mise en scène : Lucie Rausis

Avec Margot Van Hove et Roland Vouilloz

https://www.theatre-rolle.ch/programme/le-poisson-belge/

Photos : © Céline Ribordy

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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