Le banc : cinéma

Le combat d’un père face aux rapports de force

Durant un siècle, les troupes dites des Tirailleurs sénégalais ont servi l’armée française dans ses différents combats. Tirailleurs raconte l’histoire, fictive, de deux d’entre eux, un père et un fils ayant rejoint malgré eux une guerre qui les dépasse.

Nous sommes en 1917, soit une soixantaine d’années après la création de la première troupe des Tirailleurs sénégalais. Bakary Diallo (Omar Sy) rejoint les rangs pour tenter de sauver son fils Thierno (Alassane Diong), 17 ans et enrôlé de force. Une pratique tristement courante à l’époque. Tous deux tentent de s’échapper pour rejoindre leur village au Sénégal, mais c’est bien sûr un échec, la situation n’étant pas facilitée par le fait qu’ils sont engagés sur le front allemand. Rapidement, au contact du lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet), Thierno sera galvanisé et se battra sincèrement pour cette patrie qui n’est pas la sienne. Promu caporal, il ne facilitera pas la tâche de son père, qui veut à tout prix honorer la promesse faite à la mère de le ramener en vie.

Des rapports de force

Le premier élément qui frappe dans cette production franco-sénégalaise réalisée par Mathieu Vadepied est la forte présence de la langue peul – la langue maternelle d’Omar Sy, d’où le choix de cet acteur. La majorité des dialogues sont prononcés dans cette langue, entre les Tirailleurs sénégalais. Ce choix dit beaucoup de choses par rapport à la réalité, et c’est un choix intelligent que d’avoir gardé cette langue d’origine, bien que cela ne facilite pas forcément la compréhension. La plupart des soldats ne parlent donc pas le français, ou très peu. Comment pourraient-ils dès lors comprendre les enjeux de cette guerre internationale ? Comment peuvent-ils s’intégrer aux troupes et défendre une cause si éloignée d’eux ? Ce d’autant plus que l’immense majorité d’entre eux n’a pas choisi d’être là. Thierno a appris le français à l’école des blancs, dit-il au lieutenant Chambreau. Ce n’est donc pas un hasard si c’est lui qui est choisi pour grader : au vu des remarques et du mépris affiché par la majorité des soldats blancs envers les Africains, il sera plus facile de les faire obéir si leur supérieur a la même origine qu’eux. Bien sûr, cela n’est pas dit ouvertement…

Chambreau, d’ailleurs, est présenté comme une figure idéale, pour le bien du scénario : il intègre tout le monde, semble être un véritable héros qui fait attention à ses troupes, rappelant régulièrement que, malgré son grade, ils sont tous frères, combattant d’égal à égal. C’est ainsi qu’il parvient à galvaniser Thierno, qui passe en un rien de temps d’éleveur de vaches dans un petit village au Sénégal à caporal de l’armée française. Une promotion qui monte d’ailleurs rapidement à la tête de certains, en témoignent ces deux gradés africains qui rackettent leurs compatriotes en échange de leur soi-disant protection… Le discours représenté par Chambreau semble donc louable, mais cache une triste réalité, que nous dévoile Tirailleurs en sous-texte : les Tirailleurs sénégalais – nous reviendrons d’ailleurs sur cette appellation – sont envoyés comme de la chair à canon au combat. Sur la Première Guerre mondiale, on compte environ 200’000 engagés, pour 30’000 morts et une grande partie des survivants qui sont rentrés blessés, voire invalides. Le rapport de force est ainsi très différent entre les discours et la réalité. Ceci, Tirailleurs l’illustre bien. Sans compter le fait que la promotion de Thierno en fait le supérieur de son père, et que les rapports de force entre eux s’inverseront également, bien malgré eux.

Le combat d’un père

Tout part de la promesse que Bakary fait à son épouse Salimata (Aminata Wone), de ramener leur fils en vie. L’enrôlement de force, effectué de manière particulièrement violente et inhumaine, montre le peu de considération pour la vie des Africains. Revenons d’ailleurs à l’appellation Tirailleurs sénégalais : si la première troupe engagée venait en effet du Sénégal, par la suite ce sont des hommes de toute l’Afrique subsaharienne qui sont engagés. Pour autant, l’appellation n’a pas changé, comme si cela n’importait pas aux yeux des dirigeants de l’armée français. De la chair à canon, disait-on ?

Tirailleurs suit donc le combat de Bakary. Présenté comme un véritable héros, il cherche à sauver tout le monde, même quand la cause est désespérée. C’est ainsi qu’il n’hésite pas, aidé de Thierno, à retourner sur le front en pleine nuit pour ramener Adama, le camarade de son fils, laissé pour mort sur le champ de bataille. Et s’il l’est véritablement, Bakary souhaite lui rendre les honneurs qu’il mérite. C’est sans doute le reproche que l’on peut faire à ce film : présenter des visages trop héroïques, voire romanesques, dans une histoire qui se veut le reflet de la réalité. Sans doute de tels héros ont-ils existé, mais on n’y croit finalement que très peu, au vu de la situation dramatique dans laquelle ils sont plongés. Mais il faut bien faire avec les prescriptions du cinéma, non ?

Face au combat de ce père, Thierno nous apparaît bien plus crédible : d’abord sceptique et ne comprenant pas bien ce qu’il fait là, il sera bien vite engagé dans la cause, grâce aux discours flamboyants de Chambreau. La possibilité de fuir trouvée par son père sera refusée par Thierno, qui ne veut pas abandonner ses camarades au combat et renoncer ainsi à ses responsabilités. Un sentiment louable, qui crée toutefois un énorme conflit de loyauté entre son père d’un côté et la promesse qu’il a faite à Chambreau de l’autre. Ce tiraillement en dit également long sur la réalité de ces Tirailleurs sénégalais, et l’on comprend mieux – encore une fois sans que cela ne soit dit – pourquoi l’armée française enrôlait de jeunes adultes, plutôt que les chefs de village, pourtant bien plus aguerris. Il est bien plus facile d’ancrer ses idées dans un jeune esprit encore candide que dans celui d’un homme qui a déjà vécu et comprend plus vite les tenants et aboutissants. Raison pour laquelle Bakary ne déroge pas de sa ligne de conduite, au contraire de son fils. Sans oublier la promesse qui leur est faite d’une meilleure vie au sortir de la guerre, avec la perspective de suivre des études ou de trouver du travail en France. Tout ceci est très bien amené, à travers les discussions entre les jeunes soldats, qui y croient dur comme fer, ou dans les discours prononcés par le général Chambreau (François Chattot) – le père du lieutenant. Et on comprend alors que les rapports de force en famille ne concernent pas que Bakary et Thierno…

Fabien Imhof

Référence :

Tirailleurs, réalisé par Mahieu Vadepied, France – Sénégal, 2022.

Avec Omar Sy, Alassane Diong, Jonas Bloquet, Alassane Sy, Bamar Kane, Aminata Wone, Oumar Sey, François Chattot…

Photos : © Gaumont

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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