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Le tiers de trop

« Je n’ai jamais su en quoi le monde serait différent si je n’avais pas existé, ni vers quels rivages je l’aurais déplacé si j’avais existé plus intensément, et je ne vois pas en quoi ma disparation altérera son mouvement. Me voici, marchant sur le chemin dont les pierres absentes m’emmènent vers nulle part. » (p.11)

Dans son roman d’anticipation, L’Anomalie, Hervé Le Tellier recourt à la focalisation interne multiple pour conter les conséquences d’un étrange vol Paris – New York, en mars 2021. De chapitre en chapitre, le lecteur explore ainsi une palette variée de souvenirs, comme ceux de Blake, tueur à gage, ou encore de Victor Miesel, écrivain suicidaire. Les voyageurs n’ont en commun que ce vol auquel semble s’intéresser le FBI et qui pourrait bien bousculer les limites du réel.

La longue présentation des multiples personnages, dans le prologue, est malheureusement un échec. L’arc Aussi noir que le ciel (autrement dit, la première partie du roman) occupe à lui seul en effet le premier tiers de l’ouvrage. Au total, près d’une douzaine de portraits différents, condensés sur une quarantaine de pages, dans un style d’écriture unique pour chacun d’eux. Du roman psychologique au roman policier, en passant par le roman d’aventures, Hervé Le Tellier explore précipitamment une variété de genres romanesques, à travers ses personnages. Malgré des portraits convaincants, la tentative de proposer un roman oulipien ne prend pas. Le rythme du récit est constamment et grossièrement interrompu par l’introduction d’un nouveau genre (et portrait). Les situations de suspense censées retenir l’attention du lecteur à la fin de chaque chapitre apparaissent comme absurdes ; elles ne l’encouragent pas à poursuivre sa lecture, puisqu’elles renvoient à la fin du roman.

Les deux derniers tiers du récit explorent quant à eux les conséquences politiques, sociales, religieuses et scientifiques de ce mystérieux vol pour New York et permettent un rythme de lecture bien plus régulier. Les transitions entre les personnages et les lieux présentés sont plus soignées, et ne représentent plus simplement une succession de parties sans cohésion, désagréables à lire.

Cristofe Marques

Références : Hervé Le Tellier, L’Anomalie, Gallimard, 2020, 332 p.

Photo : © Free-Photos

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