L’école, critiquable, mais comment ?
« Bien sûr ! Tout le monde critique l’école. Tout le monde a quelque chose à dire sur une institution dont le pouvoir sur le destin des gens s’est considérablement accru au cours des dernières décennies. Mais que critique-t-on le plus souvent ? […] On critique les personnes plus que le système. » (p. 5)
Le constat est simple : les enseignant·e·s sont très souvent critiqué·e·s, au sens commun du terme. Le préambule du roman graphique L’école, mode d’emploi critique, publié aux éditions Interroger l’Éducation, fait état de la situation du système scolaire et des critiques souvent dirigées à son encontre, que cela soit de la part des parents, dans les médias, ou dans des discussions de comptoir. La réflexion continue sur ce que signifie le mot « critiquer », dans le sens d’avoir une réflexion critique, en n’envisageant par uniquement ce terme dans un sens péjoratif. C’est là que débute véritablement ce roman graphique imaginé en collaboration entre plusieurs chercheur·se·s :
- Jean-Paul Payer, professeur de sociologie de l’éducation à l’UNIGE
- Verena Richardier, sociologue et collaboratrice scientifique à l’Université de Fribourg
- Diane Rufin, sociologue, docteure en sciences de l’éducation
- Zakaria Serir, enseignant-chercheur, docteur en sciences de l’éducation
L’équipe est complétée par Blandine Leroy, illustratrice professionnelle, qui signe la ligne graphique de l’ouvrage. Le roman débute par un cours de sociologie de l’éducation de première année de bachelor, au cours duquel un professeur explicite à ses étudiant·e·s la méthode critique employée, en partant à chaque fois d’un « matériau déclencheur ». Ce dernier peut consister en un document officiel produit par l’instruction publique, une situation observée ou vécue en classe, un débat télévisé au sujet de l’éducation… qu’importe, tant que cela peut amener une réflexion d’ordre sociologique sur le système scolaire.
« Il y a un rapport de pouvoir déséquilibré entre l’école et les parents. » (p. 25)
Voici la première analyse faite par l’enseignant et son groupe d’étudiant·e·s. La méthode proposée consiste en de nombreux échanges, des discussions animées et appuyées par des éléments théoriques amenés par le professeur. Le roman nous montre ainsi comment la réflexion naît au sein de l’Université – du moins dans ce genre de cours – en appuyant sur le lien entre les préconçus existant au sein de la société et la vision prônée par les chercheur·se·s et autres spécialistes à partir d’observations, recherches et études. L’évolution des discussions entre professeur et étudiant·e·s vise ainsi à modifier les points de vue, qu’ils soient au départ trop idéaux sur le métier… ou au contraire plus pessimistes. On tend ainsi à présenter un regard objectif, un panorama plus complet, afin de développer l’esprit critique et, idéalement, de pousser les futur·e·s enseignant·e·s à faire mieux, ou au moins à avoir conscience des difficultés du métier. La vision présentée dans cet ouvrage n’est ainsi pas forcément encourageante, mais réaliste. Elle correspond bien à ce que l’on peut observer en évoluant dans ce milieu, qu’on soit en position d’enseignant·e ou d’étudiant·e, au sein des écoles primaires (voire secondaires) ou à l’Université.
« Le vrai problème, c’est pas qu’il existe des métiers ‘’ manuels’’ et d’autres ‘’intellectuels’’. C’est que ce sont toujours les mêmes qui les exercent, en fonction de leur origine sociale. » (p. 36)
Ce sont le genre de réflexions qui sont proposées dans ce roman graphique. L’idée est de faire un pas de côté par rapport à nos affects et à notre sens commun, de poser la question différemment. Pour ce faire, le format choisi apporte une réflexion de manière plus « ludique », pourrait-on dire. Proche de la bande dessinée, l’ouvrage ne ressemble ainsi pas à un énorme pavé bourré de théorie. En cela, il est bien plus accessible que d’autres textes que l’on pourrait lire sur le sujet. Autre point fort, le propos est rendu plus vivant grâce à l’oralité des dialogues, principalement dans les interventions des étudiant·e·s. Loin de l’exposé magistral, on assiste plutôt à des discussions et des échanges, qui rendent le tout beaucoup plus interactif et mobilisent une activité de la part de tou·te·s les acteur·ice·s du roman et, ce faisant, des lecteur·ice·s également. On apprécie aussi la qualité du dessin, avec des personnages monochromes, les seules touches de couleur étant des nuances de bleu et de vert dans les décors et les éléments mis plus particulièrement en avant. Le tout est ainsi sobre, avec une qualité de dessin plutôt réaliste, rappelant que L’école, mode d’emploi critique n’est pas un divertissement, mais bien un ouvrage de réflexion au sujet d’une institution sur laquelle tout le monde à un mot à dire.
Au final, ce roman graphique imaginé en collectif s’adresse à un lectorat très large : qu’on soit enseignant·e ou futur enseignant·e, il invite à faire un pas de côté sur la pratique enseignante, pour tenter de réfléchir différemment en envisageant tous les points de vue. Il s’adresse aussi au grand public : qu’on soit parent, expert·e ou non, tout le monde est passé à un moment ou à un autre par l’école, avec les évolutions multiples que l’on connaît. Quoiqu’il en soit, on entretient toutes et tous un lien étroit avec l’institution. Et si ce roman ne change pas forcément notre regard sur elle, il invite au moins à une vision plus étendue, avec une réflexion qui se veut objective et complète.
Fabien Imhof
Référence :
Blandine Leroy, Jean-Paul Payet, Verena Richardier, Diane Rufin, Zakaria Serir, L’éducation, mode d’emploi critique : Un roman graphique, Éditions Interroger l’Éducation, 79 p.
Photos : © Fabien Imhof, illustrations de Blandine Leroy