L’épreuve du feu
Dans le cadre du Festival de la Cité à Lausanne, Fatima Ouassak présentait sa première pièce de théâtre, Comme Ali, inspirée des révoltes ayant suivi la mort de Nahel Merzouk sous les balles de la police en France. Un texte coup de poing.
Sur la scène de la Place Saint-Maure, une foule se presse pour pouvoir rentrer dans le chapiteau surmonté de marronniers. C’est dans la promiscuité et la chaleur qu’on assiste à ce spectacle attendu de la programmation du festival. La pièce, écrite par Fatima Ouassak, autrice et activiste française, s’inspire des révoltes des quartiers populaires en France après la mort de Nahel, tué par la police en 2023. Ali, presque 10 ans, plus arabe qu’enfant aux yeux de la société, doit surmonter des épreuves dans une quête initiatique où il rencontre des rats, affronte quarante policiers, et passe l’épreuve du feu.
L’autrice nous livre un texte percutant, bien écrit, dans un langage à hauteur d’enfant, sans en faire trop. Ce point de vue enfantin sur la violence permet un décentrement total, à contre-courant des récits perpétrés par les médias. À l’école, Ali est mal vu par sa maîtresse, une personne visiblement raciste qui sûrement « s’est pris un râteau par un Arabe dans sa vie ». Il apprend le drame en plein cours via des vidéos qui circulent sur internet. À l’époque des réseaux sociaux, la violence est instantanément reproduite, et voilà que la mort de Nahel, un grand du quartier, est au centre des discussions de la récré. Il y a quelque chose de troublant d’entendre les analyses des enfants, qui sont comme détachés du drame, de parler d’un « grand » du quartier, un gentil, dire que « son heure avait sonné », et commentant les images sanglantes et la Mercedes jaune encastrée dans un poteau. C’est en ce sens que Fatima Ouassak parle de la désenfantisation des enfants arabes, témoins malgré eux d’une violence qui sévit dans leurs lieux de vie, et non accompagné dans sa réception, à l’image de la maîtresse qui les punit de parler entre eux au lieu d’ouvrir un espace de parole.
Le récit prend une tournure fantastique au moment des révoltes qui suivent l’assassinat de Nahel. Descendant voir l’incendie qui ravage le commissariat d’en bas, les adultes n’expliquent pas à Ali ce qu’il se passe, mais il sait que quelque chose d’important est en train d’arriver. Le feu prend une teinte sacrée pour les habitants du quartier rassemblés autour, jusqu’à l’intervention des pompiers, qui interrompt cet hommage au défunt. Plus loin, Ali surprend une autre ronde, celle des policiers célébrant la mort du « raton ». Repéré, Ali doit faire face à quarante policiers qui le poursuivent. Il en viendra à bout grâce à l’épée de Zulficar, que Mahomet aurait transmise à Ali, selon l’Islam. Ali, cousin et gendre de Mahomet, est considéré comme le premier Imam, il représente une figure mythique de la culture de l’Islam, ainsi qu’Hussayn, comme le nom du petit frère attachant qu’Ali a à cœur de protéger. Mêlant récits islamiques et l’univers des jeux vidéo, Fatima Ouassak crée un univers singulier, dont Ali et son courage sont les héros.
Malgré quelques faiblesses de jeu, l’exercice d’un seule-en-scène n’étant pas facile, de surcroît en pleine canicule, le texte fait son effet, et la belle mise en musique de Luciano Turella lui donne de la profondeur. Après un final qui ne laisse personne de marbre, la standing ovation était méritée.
Léa Crissaud
Infos pratiques :
Comme Ali, de Fatima Ouassak, sur la scène de la Place Saint-Maure le 1er et 2 juillet dans le cadre du Festival de la Cité
Interprété par Fatima Ouassak
Mise en scène et son de Paul Courlet
Musique de Luciano Turella
Photos : ©Fatima Ouassak