Les réverbères : arts vivants

L’histoire ratée d’un humain ordinaire

Le Théâtricul accueille Antoine Courvoisier pour Le discours, jusqu’au 9 juin. Adapté du roman de Fabrice Caro, le spectacle étonne par son côté percutant et profondément humain, sous la forme d’un monologue intérieur adressé au public. (D)étonnant.

 « C’est l’histoire d’un type qui foire. » nous dit en préambule le résumé de la pièce. On ne pourrait pas être plus juste ! Adrien se perd dans sa tête. Ce soir, autour d’un énième et répétitif repas de famille, il ne trouve toujours pas sa place. Ce d’autant plus que Sonia l’a quitté il y a cela 38 jours et qu’il a fini par craquer : il lui a écrit avant de venir. Sonia a vu le message et ne répond pas. Pourquoi ? Qu’est-ce qui peut bien se passer dans sa vie pour qu’elle ait vu ce message et qu’elle n’y réponde pas ? Durant toute la soirée, le voilà obnubilé par cette question. Alors quand on lui demande de prononcer un discours au futur mariage de sa sœur, c’en est trop pour lui. Certain que le discours sera raté, il se met à monologuer dans sa tête et à réfléchir, sans doute un peu trop. « Le bilan délicieux de la vie d’un décalé », conclut le résumé de la pièce…

Un peu de nous tou·te·s

Le discours, c’est l’histoire d’une pensé qui fuse, sans jamais s’arrêter, une pensée qui part dans tous les sens sans qu’on ne puisse la retenir. Ce moment, on l’a tous et toutes vécu un jour : parce qu’on était déprimé·e, incertain·e, dans le doute, énervé·e… Dans l’attente de la réponse, Adrien se prend donc la tête et imagine mille-et-une raisons qui pourraient empêcher Sonia de lui écrire, et mille-et-une autres choses… Son esprit vagabonde et vagabonde ! Sans oublier qu’il doit réfléchir au discours du mariage. Comment l’envisager ? Tenter d’écrire quelque chose de drôle ? Suivre un modèle classique ? Ou même un tuto sur internet ? Raconter sa vie, son histoire manquée avec Sonia ou sa relation pas toujours simple avec sa sœur ? Dans sa tête, seul face à son micro, il imagine ce qu’il pourrait dire. Mais rien ne le convainc jamais vraiment. Alors on s’identifie à lui, à ses réflexions, en se demandant si, à sa place, on ferait mieux ou non. On en oublierait presque que tout son monologue s’agrémente d’anecdotes personnelles toutes plus incongrues les unes que les autres : le bricolage en forme de sapin devenu une forme… plus farceuse dira-t-on ; Le gendarme de Saint-Tropez visionné avec les parents un soir d’anniversaire… Adrien, c’est un peu l’archétype du type simple qui foire à peu près tout ce qu’il entreprend alors qu’il cherche simplement à être heureux, sans fioriture.

Une finesse de texte et de jeu

L’écriture de Fabrice Caro est particulièrement percutante, à tous points de vue ! D’abord parce que cet Adrien nous émeut : on ressent ainsi une grande empathie pour lui, qui ne semble pas mériter ce qui lui arrive. Le sort s’acharne, et l’on se retrouve dans certaines de ses anecdotes. Ensuite, le texte percute par son rythme : pas de temps mort, même lorsqu’un moment semble plus creux, il ne tombe jamais à plat en trouvant un élément pour rebondir dessus. Et le tout n’est pas dénué d’humour, loin s’en faut ! Les vannes s’enchaînent, les éléments inattendus également, et l’on rit beaucoup avec Adrien, non de lui.

Le discours, c’est donc un texte humain, simple, presque naïf et doté pourtant d’une grande complexité : alors qu’on a l’impression qu’il part dans tous les sens, il finit toujours par retomber sur ses pattes… et sur Sonia ! Les liens entre les histoires, anecdotes et autres pensées se créent petit à petit pour former un tout parfaitement uni. Et le résultat ne serait pas possible sans la brillante performance d’Antoine Courvoisier : il jongle ainsi entre les émotions de son personnage, passant de l’une à l’autre sans jamais en faire trop. Avec lui, on voyage entre tous les niveaux de lecture du texte et les diverses facettes du personnage. Si bien qu’on a envie de savoir quel sera son avenir avec cette fameuse Sonia. Répondra, répondra pas ? Pour le savoir, rien de plus simple que de se rendre au Théâtricul !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le discours, d’après le roman de Fabrice Caro, du 2 au 9 juin 2022 au Théâtricul et du 13 au 17 septembre 2023 au douze dix-huit.

Mise en scène : Antoine Courvoisier

Avec Antoine Courvoisier

https://theatricul.net/le-discours/

Le discours

Photo : © Charlotte Filou

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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