Les réverbères : arts vivants

Mélancolie alpestre

Désalpe. C’est le titre du spectacle joué jusqu’au 3 août au Théâtre de l’Orangerie. Il y est question de montagne, de réchauffement climatique, de cor des Alpes, de Suisse… Alors que la neige ne tombe plus, les trois comédiennes sont nostalgiques des belles saisons de ski.

À l’origine, la désalpe est un moment de fête et de joie. Les troupeaux descendent de l’alpage où ils ont passé quatre mois et les festivités qui accompagnent ce moment sont toujours synonymes de partage et de liesse. Dans la version d’Antoine Jaccoud, c’est tout le contraire. Axée autour du réchauffement climatique, cette Désalpe est définitive, et concerne tout le monde. De la tenancière du gîte de montagne aux travailleurs des remontées mécaniques, en passant par les services de location et d’entretien de skis, tout le monde a dû déserter les hauteurs pour regagner la plaine.

La mise en scène est sombre et sobre. Pas de décor, si ce n’est une luge qu’on distingue au fond de la scène, peu de lumière. Les costumes – tenues de ski, qui évoluent, nous y reviendrons – sont les seuls à égayer ce qui peut encore l’être. Car Désalpe, c’est tout sauf une pièce joyeuse. Si les faits évoqués ne sont encore qu’une anticipation, on ne peut s’empêcher d’y croire et de craindre pour l’avenir. Sombre, c’est bien le mot. Ceci se transcrit à travers le ton employé par les trois comédiennes, au travers de leurs micros, un ton qui reste monocorde, à quelques exceptions près. Alors qu’elles évoquent leurs souvenirs, les clients, les noms des stations, des marques célèbres et tout ce qui faisait leur quotidien, le ton de leur voix ne change pas. Si cela peut déranger, on prend bien vite conscience qu’il ne s’agit que d’un signe externe de ce qui se passe à l’intérieur. Un mélange entre la stupeur, la tristesse, le désarroi et le vide qui s’empare petit à petit du cœur de ces personnes qui ont tout perdu.

À côté, quatre cors des Alpes accompagnent en musique le propos. Devenus cors de plaine, ils sont désormais enfermés dans une salle de théâtre, comme pour montrer qu’eux aussi ont perdu leur âme, habitués qu’ils étaient à résonner sur les sommets. Les sons qui en sortent sont inhabituels. S’ils n’enlèvent rien à la beauté de la sonorité de cet instrument si particulier, le côté contemporain de la musique ajoute un décalage nouveau, témoin du dérèglement qu’ils ont subi. Quel meilleur choix pour traduire l’état intérieur des personnages que cet instrument, si loin des lieux dans lesquels il est censé s’épanouir ?

Le choix des costumes, est également à souligner. Bien qu’ils apportent un peu de couleur à un spectacle dont le propos est sombre, ils ne l’égaient pas pour autant. Sans en dévoiler plus – il faut garder la surprise de l’évolution des costumes –, je me contenterai de dire qu’ils font écho au reste, du ton à la musique, en passant par la thématique du spectacle. Le résultat ? Un tout cohérent, qui fonctionne pour donner toute sa force à un texte fin et particulièrement incisif, avec ses formules qui reviennent comme des leitmotivs, témoins du désarroi des personnages.

Désalpe, c’est donc un spectacle qui mêle parole, musique et même chant – quel bonheur d’entendre les sept voix sur scène s’accorder – pour nous mettre en garde contre le réchauffement climatique, dont nous sommes tous conscients, mais contre lequel nous ne parvenons pas vraiment à agir. Loin des articles alarmistes et répétitifs que nous lisons chaque jour, Désalpe nous raconte une histoire, comme un roman d’anticipation qui nous touche, nous Suisses, avec toutes ses références. Il serait peut-être temps de réagir…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Désalpe, d’Antoine Jaccoud, du 20 juillet au 4 août 2019 au Théâtre de l’Orangerie.

Mise en scène : Antoine Jaccoud

Avec Françoise Boillat, Johanne Faivre Kneubühler, Isabelle Meyer (jeu) et Quatuor Dacor composé de Daniel Brunner, Valentin Faivre, Jacky Meyer et Matthieu Bielser (musique)

https://www.theatreorangerie.ch/index.php/theatre/spectacles-en-salle/117-desalpe

Photos : © Guillaume Perret

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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