Les réverbères : arts vivants

Métamorphose : le corps familial en question

Avec Métamorphose, la jeune Cie Alavan proposait sa première pièce, adaptée de l’œuvre bien connue de Franz Kafka. Retour sur un projet ambitieux joué au Théâtre de l’Étincelle, entre le 30 janvier et le 2 février derniers.

 « Bondé ! » Voilà un adjectif qui convenait tout à fait au Théâtre de l’Étincelle, au soir du 2 février. Au programme, la dernière représentation de Métamorphose dans une mise en scène de Lou Golaz, co-fondatrice de la Cie Alavan. Il y a peu de temps, nous vous annoncions cette pièce interdisciplinaire prometteuse, qui mélangeait théâtre, musique et geste. Autant vous le dire tout de suite : Métamorphose a rempli ses promesses !

En s’emparant de la nouvelle de Kafka, la Cie Alavan était consciente de devoir relever un vrai défi : comment rendre l’atmosphère d’un huis-clos familial écrit en prose, entre fantastique et drame inter-personnel ? Comment dépasser la simple horreur d’une situation surnaturelle, pour questionner les liens entre les êtres et la société contemporaine ? Ces questions sont au cœur de Métamorphose et s’articulent autour d’un élément central : le corps.

Le corps transformé…

Dans La Métamorphose, Gregor, un jeune commis-voyageur sans histoire, se transforme durant la nuit en insecte. Prisonnier d’une apparence qui n’est plus la sienne, il se heurte aux membres de sa famille, aux réactions ambivalentes – stupeur, horreur, dégoût, mais aussi tristesse, compassion et désespoir. Comment rendre cette mutation ?

Alors que la Cie Alavan aurait pu jouer la carte de la « facilité » (en inventant des costumes monstrueux, par exemple), elle a fait un pari radicalement différent. La transformation passe littéralement par le travail sur le corps de l’acteur. Interprété par Eliot Sidler (co-fondateur de la Cie Alavan), Gregor voit sa peau nue lentement recouverte de terre glaise. L’argile humide, brune et collante, semble maquiller ses muscles, les peindre d’une carapace de chitine qui va peu à peu sécher et faire disparaître son humanité. Par cet artifice simple, la Cie Alavan évite les tenues ou les effets de maquillage complexes, pour demeurer dans le symbole – la trace. En parallèle, c’est à un vrai remodelage de son corps que se livre Eliot Sidler : il se contorsione, rampe, tressaute, tressaille… Il escalade les murs, s’accroche au plafond, se cache sous les meubles. Ses articulations adoptent des angles aigus, presqu’impossibles à comprendre. Comment fait-il ? Accentué par les bruitages musicaux qui accompagnent la pièce, il devient véritablement un scarabée ou une blatte à taille humaine. À la fois angoissant et fascinant.

…face au corps familial

Dans Métamorphose, la Cie Alavan s’empare d’une situation surnaturelle pour questionner la structure même du corps familial. Face à un tel événement, la famille de Gregor est-elle armée pour faire face ? Force est de constater que non : sa mère le prend en horreur, son père veut l’écrabouiller, sa sœur le prend en pitié mais désirerait le voir mort… lui qui était le soutien de sa famille devient un paria, réprouvé de la société des hommes – réprouvé dans sa propre famille.

Le corps familial s’inscrit, sur la scène de l’Étincelle, dans un décor qui rend compte du huis-clos : la pièce se déroule intégralement dans l’intérieur bourgeois d’un appartement, où chaque membre de la famille possède son espace. Pour autant, le huis n’est pas totalement clos et le public joue les voyeurs en accédant à ce territoire de l’intime. Afin de symboliser les différentes cloisons qui séparent les pièces, sans arrêter le cheminement du regard, la Cie Alavan a construit une structure de bois qui évoque une grande boîte rectangulaire en trois dimensions. Charpente d’un appartement… ou contour d’une cage où évolue l’insecte Gregor ? Les poutres, chambranles et éléments transversaux permettent à chaque personnage d’évoluer dans des espaces fermés (la chambre de la sœur, celle des parents, le salon-salle à manger), de manière simultanée : ils vivent dans la même maison, sans toujours se rencontrer vraiment – même quand ils sont ensemble.

Car au final, c’est bien ce qui est en question dans Métamorphose : le délitement d’un corps familial face à la transformation d’un de ses membres. Qu’on interprète la métamorphose de Gregor comme une réelle mutation surnaturelle, ou comme une métaphore d’un burn-out, d’une évolution vers l’âge adulte (face à laquelle le jeune homme, peu armé, n’arrive pas à s’en sortir) ou d’un coming-out (que la famille refuse en bloc), on est touché par les personnages campés par Eliot Sidler, Maya Beerli, Marie Probst, Olivier Sidore et Lino Eden. Et, si leurs corps sont désunis face à une tragédie, on se prend à espérer que tout ira bien, lorsque la musique résonne pour mieux porter la pièce. Bravo.

Magali Bossi

Infos :

Métamorphose, d’après Franz Kafka, au Théâtre de l’Étincelle (Maison de quartier de la Jonction) du 30 janvier au 2 février 2019.

Mise en scène : Lou Golaz

Jeu : Eliot Sidler, Maya Beerli, Marie Probst, Olivier Sidore et Lino Eden

Magali Bossi

Magali Bossi est née à la fin du millénaire passé - ce qui fait déjà un bout de temps. Elle aime le thé aux épices et les orages, déteste les endives et a une passion pour les petits bols japonais. Elle partage son temps entre une thèse de doctorat, un accordéon, un livre et beaucoup, beaucoup d’écriture.

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