#metoo à l’aube des années 30
Avec son dernier film, Mon crime, François Ozon adapte une pièce de boulevard des années 30, dans laquelle il est question de meurtre, de légitime défense et d’un quiproquo qui aura défrayé la chronique. Sa date de sortie – le 8 mars – est un fin clin d’œil aux touches féministes qu’il y ajoute.
Comme la pièce originale, signée Georges Berr et Louis Verneuil, Mon crime est une comédie, même si on pourrait penser le contraire au début du scénario. Madeleine Verdier (Nadia Tereszkiewicz) est une jeune actrice sans le sou. Elle et sa colocataire, l’avocate Pauline Maléon (Rebecca Marder), peinent à trouver de l’embauche et à payer le loyer de leur appartement miteux, dans lequel elles doivent aller jusqu’à partager le lit! Mais un jour, Montferrand, grand producteur de théâtre, est retrouvé assassiné chez lui. Madeleine, qui l’a rencontré le jour même dans l’optique de se voir offrir un rôle, fait partie des principaux suspects. Quelle aubaine pour la jeune actrice, qui se déclare coupable et en état de légitime défense. Et alors que son acquittement fait les gros titres, la voilà qui entame une nouvelle vie remplie de fastes et de succès. Mais si la vérité venait à éclater ?
Un film théâtral
Mon Crime est d’abord marqué par un côté théâtral complètement assumé dans la réalisation de François Ozon. Les décors, d’abord, rappellent les plus grands vaudevilles : murs couverts de tapisseries, intérieurs bourgeois luxueux… Le tout filmé à grand renfort de plans larges qui rappellent la vue qu’on peut avoir de la scène théâtrale. La scène finale, qui a lieu sur les planches, rappelle d’ailleurs celle d’ouverture, avec un intéressant aller-retour entre théâtre et cinéma.
Surtout, c’est le jeu des acteur·ice·s qui nous rappellent les planches parisiennes et ses comédies de boulevard. À commencer par Régis Laspalès, qui interprète un inspecteur Brun exagérément fier des conclusions (hâtives ?) de son enquête. Comment ne pas évoquer Fabrice Luchini, le juge Rabusset qui, après toutes les casseroles de sa carrière, tient enfin l’affaire, avec un grand A. Et le succès risque bien de lui monter à la tête… Et que dire de l’accent marseillais de Dany Boon dans son rôle de Palmarède, à l’opposé total de ce à quoi il nous a habitués ? La liste pourrait être rallongée à l’envi, mais la performance la plus marquante est sans doute celle d’Isabelle Huppert, en actrice du cinéma muet prête à revenir sur le devant de la scène, pour autant qu’on lui rende son crime. Ses airs de diva aux allures parfaitement hautaines, couplée à l’assurance évidente que lui confère son personnage, rend sa performance presque jubilatoire. Pour le côté théâtral, comment ne pas évoquer les plaidoiries de maîtres Maléon et Vrai (un rôle confié à Michel Fau, il fallait le faire !) ? Voilà qu’on atteint sans doute le paroxysme de l’exagération du phrasé dévolu aux planches, quitte à en faire sans doute un peu trop.
Trop de #metoo tue le #metoo ?
Dans sa réadaptation, François Ozon effectue un petit changement qui a toute son importance : Montferrand, la victime, est un banquier dans la pièce originale. Ici, il endosse le rôle de producteur de théâtre, que Madeleine aurait assassiné après qu’il lui ait fait des avances plus qu’appuyées. Un clin d’œil à un autre célèbre producteur dont les initiales sont HW ? Si l’idée est bonne, le fait que les revendications féministes soient aussi appuyées lors du réquisitoire de Pauline Maléon font basculer la finesse de la réflexion du côté du grotesque. Les effets comiques fonctionnent bien, mais on a le sentiment qu’il n’y avait pas besoin d’en faire autant pour que l’allusion soit comprise.
Pour autant, sans doute y a-t-il dans Mon Crime une volonté de montrer un renversement : la manipulation est ici l’œuvre de ces deux femmes, Madeleine et Pauline, qui s’en sortent, il faut le dire, à merveille dans cet art ! La réflexion s’avère toutefois un peu facile, voire presque démagogique, et on aurait aimé une résolution plus subtile, pourquoi pas avec un scénario à la Agatha Christie ? On ne peut effectivement s’empêcher de penser aux Petits meurtres d’Agatha Christie, dans l’esthétique de ce film comme dans une partie de son humour. Et si la scène finale apporte quelques pistes de réflexion intéressantes de ce point de vue, on aurait aimé que le tout soit un peu plus profond.
Au final, Mon Crime laisse un sentiment mitigé : celui d’avoir passé un bon moment, en ayant ri et apprécié – dans l’ensemble – la performance des acteur·ice·s (malheureusement, les deux premiers rôles nous laissent sur notre faim), le côté très théâtral fonctionnant à merveille. Pour autant, on a cette désagréable impression d’une volonté de surfer sur la vague du #metoo sans apporter fondamentalement grand-chose de nouveau sur la question.
Fabien Imhof
Référence :
Mon Crime, réalisé par François Ozon, avec Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert, Dany Boon, Régis Laspalès, Fabrice Luchini, André Dussollier, Daniel Prévost, Michel Fau… France, sortie en salles le 8 mars 2023.
Photos : © DR