Les réverbères : arts vivants

Remonter le temps jusqu’au Début

Prendre de la hauteur : tel est le leitmotiv du spectacle-concert Le Début, à voir au Théâtre Saint-Gervais jusqu’au 12 mars. Un retour vers le passé vertigineux pour ressentir et se questionner sur ce qu’il y avait avant, avant nous, avant le monde tel que nous le connaissons.

Sur la scène de la salle du sous-sol, tout est disposé pour le concert. Dans la fumée qui tapisse la pièce d’une étrange brume, nous découvrons une guitare, une batterie et deux pieds de micro. Soudain, les néons rouges s’allument : Le Début s’écrit au fond de la scène. Les quatre comédien·ne·s et musiciens débutent alors un récit polyphonique, entre échange, réponses et unisson. Tout part de l’histoire d’une femme aux longs cheveux blancs, dans sa voiture. Va-t-elle sauter dans le vide ? Tout se suspend, le temps d’une décision. « Prendre de la hauteur », se répète-t-elle. La narration retourne alors dans son passé, puis dans celui de l’humanité, et même ce qu’il y avait avant, jusqu’à ce qu’on suppose être le début de toute chose : le Big Bang.

Remonter le temps

Le récit se fait d’abord en douceur. Les histoires qui s’enchaînent sont assez longues – quelques minutes à chaque fois – et on remonte d’une dizaine d’années à chaque fois. Juste avant le potentiel grand sauf, on revoit le pot de départ en retraite de cette femme qui ne sera jamais nommée, son premier concert, sa naissance… Puis tout s’accélère, dans un défilement vertigineux qu’on ne peut plus arrêter : les sauts dans le temps sont rapides, les événements à peine évoqués – mais suffisamment pour qu’on comprenne de quoi il s’agit. On reparle des Guerres mondiales, des conquêtes, des explorations, jusqu’au Big Bang. C’est comme si l’expression « Prendre de la hauteur », qui nous est répétée comme un refrain, tout au long du spectacle, était poussée à l’extrême et ne s’arrêtait plus. Comme cette vie qui défile juste avant de mourir, on prend de la hauteur sur l’histoire de la femme, puis sur celle du monde, de la Terre, sans qu’on ne puisse rien contrôler. Il y a une forme de lâcher prise sur lequel on n’a pas vraiment d’effet, dans Le Début. Si cela peut faire un peu peur au début, on se prend rapidement au jeu, se laissant aller à ce vertige qui nous envahit.

La musique, personnage à part entière de ce spectacle, raconte elle aussi son histoire. Celle de la femme bien sûr, mais aussi celle qui lui est propre. Ainsi, Mathieu Karcher et Laurent Nicolas passent par beaucoup de styles, variant aussi les instruments : on reconnaît du rock, du blues, même du punk, du jazz ou de la variété… La douceur de certains moments contraste avec les riffs enflammés de la guitare ou les sons percutants de la batterie. Au-delà de la narration, on a l’impression que la musique se raconte elle aussi à travers le spectacle.

Une expérience à vivre

La narration se fait donc par les mots, prononcés et parfois incarnés par Virginie Schell et Vincent Coppey. Les deux comédien·ne·s oscillent entre le récit pur et le discours direct, comme quand la femme semble revivre son concert ou son discours de départ en retraite. L’histoire prend vraiment vie à travers eux. Mais ce n’est pas tout, car la musique est là, à côté, pour soutenir le tout. Donnant parfois l’ambiance, comme avec cet air aux accents country alors qu’il est question de cowboy, mais elle raconte aussi. Forte ou douce selon les moments, elle accentue les sensations, évoquant l’angoisse ou la joie, la nostalgie ou le ravissement. Et la voilà qui raconte aussi bien que les mots.

Le Début, c’est un spectacle qui ne se vit pas que par l’écoute, mais aussi par les sens. Nous voilà pris·e·s dans un tourbillon d’émotions qu’on ne contrôle plus, et il nous faut un moment avant de redescendre et de pouvoir mettre des mots sur ce qu’on vient de vivre. Les discussions d’après spectacle ne sont pas trompeuses : « Eh bien, c’était quelque chose ! » « C’est un truc à vivre », peut-on entendre dans les couloirs… Alors, prêt·e·s à vivre cette expérience hors du temps et à travers lui ?

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le Début, création collective de Julien Basler, Zoé Cadotsch, Vincent Coppey, Mathieu Karcher, Laurent Nicolas et Virginie Schell, du 2 au 12 mars 2023 au Théâtre Saint-Gervais

Mise en scène : collective

Avec Vincent Coppey, Mathieu Karcher, Laurent Nicolas et Virginie Schell

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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