Les réverbères : arts vivants

Michel Berger revit aux Amis et les sublime

Aux Amis musiquethéâtre se joue en ce moment un spectacle hommage à Michel Berger et ses proches, qu’iels soient collaborateur·ice·s, ami·e·s ou plus encore… Dans Il jouait du piano debout, on retrace l’itinéraire de ce surdoué resté humble.

« Quittons dans ce monde insolite / Le bruit des pelles mécaniques / Qui construisent quoi / Faisons taire les mélancoliques / Avec notre propre rythmique et notre joie » (Musique)

Sur la scène, on retrouve l’intérieur d’un studio : non loin du piano à queue, on retrouve des guitares, des basses, une batterie, un synthé, des micros… le tout agrémenté de nombreux câbles pour faire fonctionner l’ensemble. Bastien Blanchard est assis dans un coin, tandis que Sacha Maffli s’affaire pour s’assurer que tout est bien branché. Quand les lumières de la salle s’éteignent, les deux compères commencent la narration, bien vite rejoints par Béatrice Graf, également batteuse du spectacle. Iels passent rapidement sur son enfance et ses premières compositions, pour arriver très vite à son premier engagement : directeur artistique chez Pathé Marconi, à l’âge d’à peine 20 ans. C’est donc avec ce poste qu’il rencontrera Véronique Sanson, son premier grand amour, qui brisera son cœur… S’ensuivront des rencontres avec Françoise Hardy et, surtout, France Gall, qu’il ne quittera plus, malgré ses réticences initiales. Plus tard, dans l’histoire qui nous est racontée sur scène, on assistera à ses rencontres avec  Daniel Balavoine, Johnny ou encore Elton John. Ces amitiés, parfois improbables, donneront lieu à une foule d’anecdotes, émaillant les grandes étapes de sa vie, jusqu’à la fin tragique d’une existence qui ne l’aura pas épargné…

« Celui-là voudra des bombes / Celui-là comptera les jours / En alignant des bâtons / Comme les barreaux d’une prison / Où qu’ils aillent / Ils sont tristes à la fête / Où qu’ils aillent / Ils sont seuls dans leur tête » (Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux)

De toutes ses facettes – Michel Berger est auteur-compositeur-interprète-producteur – c’est celle d’auteur qu’il désire retenir. Lui qui aime tant écrire, d’abord pour les autres, se révèlera comme un grand chanteur seulement des années après avoir offert des tubes à d’autres. S’il était déjà connu pour sa musique et ses textes, ses mérites de chanteur n’arriveront que tardivement. Michel Berger aimait sublimer les autres. C’est un aspect de sa personnalité qu’on ressent parfaitement dans le spectacle. Antoine Courvoisier – au-delà de l’étonnante ressemblance physique avec le chanteur – parvient à faire ressortir cette dimension. En n’intervenant que très peu dans la narration, excepté quelques réactions à des paroles prononcées sur lui. En faisant ça, il casse le côté trop lisse dans lequel ce spectacle aurait pu tomber. Une jolie façon, donc, d’éviter cet écueil. Et alors qu’il se donne derrière son piano, on ne l’entend finalement pas tant chanter que cela. La part belle est faite avant tout aux chanteuses, qu’il s’agisse de Véronique Sanson, Françoise Hardy et, surtout France Gall – toutes trois interprétées avec brio par l’excellente Jenny Lorant – qui doivent une grande partie de leur succès à Michel Berger. Même dans La groupie du pianiste, c’est bien cette groupie (Vanesa Dacuña) qu’on remarque le plus. De Michel Berger, on retient donc avant tout cette capacité de donner vie aux mots – comme à cette groupie – et à transformer tout ce qu’il côtoie en or.

« Toi qui as posé les yeux sur moi / Toi qui me parles pour que j’aie moins froid / Je te donne tout ce que j’ai à moi / La clé d’un monde qui n’existe pas. » (Viens je t’emmène)

Le mérite en revient également à cette magnifique troupe de comédien·ne·s. Chacune et chacun peut véritablement s’exprimer et offrir sa palette de talents. On apprécie particulièrement le fait qu’iels ne tombent pas dans une imitation grotesque et gratuite. Au contraire, iels parviennent à reprendre les looks, les attitudes et les manières de chanter de ces stars de la variété, sans prétendre tout faire comme elles et eux. On retrouve ainsi, chez Jenny Lorant, le vibrato de Véronique Sanson, la douceur de la voix de Françoise Hardy et toute l’énergie de France Gall, en plus de son style vestimentaire emblématique. Quant à Sacha Maffli, lorsqu’il débarque avec sa veste en cuir de baroudeur, on croit reconnaître Daniel Balavoine, la barbe en plus. Et que dire de sa puissance vocale dans son rôle de Johnny ? N’oublions pas non plus Bastien Blanchard et sa tenue quelque peu excentrique façon Elton John, dont il parvient aussi à rappeler tout le talent derrière son piano ! Le choix de mise en scène de Françoise Courvoisier s’avère très malin, pour ne pas tomber dans un spectacle d’imitations, qui aurait totalement dévié le propos et aurait fait perdre à Il jouait du piano debout tout son sel. Et toute cette joyeuse bande parvient à nous emmener dans son univers.

« Quand je suis seul et que je peux rêver / Je rêve que je suis dans tes bras / Je rêve que je te fais tout bas / Une déclaration / Ma déclaration » (Ma déclaration)

Avec ce spectacle, on revit les années 70-80, en découvrant les chanteurs yéyés, mais aussi l’engagement de Michel et de son ami Daniel Balavoine. On perçoit mieux la manière dont il a relancé la carrière de France Gall, en lui offrant des textes en parfaite osmose avec ses qualités, ou encore celle de Johnny, devenu un Chanteur abandonné… Ce spectacle est ainsi parfaitement équilibré, entre une mise en scène sobre, sans fioriture et quelques images d’archive projetées pour étayer la narration. On se prend au jeu, à chanter, frapper dans nos mains, tout en ayant l’impression d’avoir appris quelque chose. Surtout, sans excès, on retrouve la personnalité de Michel Berger et cette manière de se raconter dans ses chansons, tout en restant discret dans ses déclarations. Avec, bien sûr, la fin tragique précédée d’événements bouleversants pour lui. Raison pour laquelle on aimerait conclure sur cette Minute de silence :

« Un soir, tu trouveras des brouillons dans leur cachette / Pour voir, tu sortiras les disques de leur pochette / Notre histoire, tu la verras défiler dans ta tête / Alors chut, pose doucement un doigt devant ta bouche / Et lutte, efface de ta mémoire ces mots qui nous touchent / Brûle, ces images qui nous plongent dans la solitude / Ecoute, ce qu’il reste de nous /  Immobile et debout / Une minute de silence » (Une minute de silence)

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Il jouait du piano debout, Hommage à Michel Berges, aux Amis musiquethéâtre, du 1er au 15 mars 2024.

Mise en scène : Françoise Courvoisier

Avec Bastien Blanchard (chant, guitare), Antoine Courvoisier (chant, piano), Béatrice Graf (batterie), Jenny Lorant (chant), Sacha Maffli (chant, guitare), Vanesa Dacuña (chœur)

Photos : © Daniel Calderon

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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