Le banc : cinéma

Et si un PNJ devenait le héros ?

À l’heure où l’intelligence artificielle fait les gros titres et interroge sur de nombreux aspects, Free Guy, sorti en 2021, apporte certains éclairage sur fond de comédie, avec une réflexion bien plus profonde qu’il n’y paraît de prime abord.

Guy (Ryan Reynolds) est le PNJ d’un jeu dont le succès est international. Comprenez par-là qu’il est un personnage non-jouable, dont les actions sont programmées à l’avance pour aider les joueurs dans leur quête, ou simplement pour leur permettre d’interagir avec l’environnement du jeu. Tous les jours, Guy répète donc les mêmes actions, en allant chercher son cappuccino à l’emporter avant de se rendre à la banque, où il travaille et sera victime d’un braquage. Mais au fond de lui, Guy aimerait connaître l’amour. Alors, quand il croise Molotov Girl (Jodie Comer), c’est le coup de foudre, l’élément déclencheur qui va lui permettre de sortir de son rôle et devenir un joueur à part entière, défiant toutes les règles du jeu. Ce qu’il ignore, c’est que Molotov Girl est un avatar incarné par Millie Rusk – son  nom dans la vie réelle, hors du jeu, et que cette dernière est présente dans le jeu pour une raison bien précise : récupérer un code caché qui pourra lui permettre de gagner un procès face à Antwan (Taika Waititi), le grand patron de l’entreprise qui a développé le jeu. Et si Guy pouvait sauver son monde ?

Questionner l’IA

En 2021, lorsque sort Free Guy sur les écrans, l’IA est déjà bien présente, mais elle résonne moins fortement qu’aujourd’hui. Avec l’émergence de Chat GPT et de logiciels capables de reproduire certaines voix à la perfection, cela pose beaucoup de questions, notamment sur le rôle des doubleurs, mais aussi sur un plan juridique et d’éventuelles arnaques. Dans Free Guy, les dérives de l’IA sont imaginées sous un jour plutôt positif, Guy devenant potentiellement un héros. Surtout, le film propose un autre aspect, dont on commence à parler et qui posera inévitablement certaines questions un jour ou l’autre : l’IA est programmée par des êtres humains, mais que faire si elle commence à développer sa propre volonté et à ressentir des émotions – si tant est que cela soit possible ? Une question présente depuis longtemps déjà en SF, mais qu’il devient urgent de poser dans notre monde réel…

La vision proposée dans Free Guy est très américaine, pourrait-on dire : Guy veut sauver son jeu et, ce faisant, la propriété intellectuelle de Millie, co-conceptrice de l’un des codes les plus importants pour le déroulement du jeu. Mais on y reviendra. Dans ce film, on nous montre avant tout le bon côté des choses, avec un happy ending et l’image d’un personnage tout à fait lambda amené à devenir un héros. Malgré sa maladresse et sa naïveté, il s’avèrera être un personnage décisif. Une forme d’American Dream ? L’originalité de Free Guy réside sans doute dans cet humour décalé, un univers dans lequel Ryan Reynolds excelle – à l’image des films Deadpool – et qui permet une certaine légèreté dans le scénario, malgré des questions plus profondes qui sous-tendent l’ensemble. Ainsi, l’univers du jeu vidéo est traité de manière originale – en axant sur la comédie et un PNJ, au contraire de Tron ou Ready Player One – en poussant ce qui se fait depuis quelques années – un monde ouvert et des possibilités infinies de scénario, avec des personnages qui évoluent au fil de l’expérience engrangée – à l’extrême. Les codes des jeux vidéo sont bien respectés, et la dimension visuelle est particulièrement réussie : on pense à la vision à la première personne des joueurs, avec tous les éléments qui s’affichent en couleurs flashy, à grands renforts de flèches et autres éléments clignotants pour indiquer au personnage où se trouvent certaines ressources. La surprise de Guy lorsqu’il enfile les lunettes noires des héros – c’est ainsi qu’il les voit, mais il s’agit en réalité des personnages incarnés par les joueurs – illustre bien le côté impressionnant de ces jeux de plus en plus immersifs.

La propriété intellectuelle en question

Au-delà de l’intelligence artificielle, une autre question est sous-jacente. Car dans Free Guy, il y a bien sûr ce qui se passe dans le jeu, mais d’autres enjeux se développent dans le monde réel. Pour résumer le propos : la version beta d’un jeu créé par Millie et son collègue Keys (Joe Keery) a été rachetée par la grande entreprise d’Antwan et utilisée dans un autre jeu. Mais les termes du contrats sont flous et peu respectés, permettant à Antwan de ne pas verser ce qui est dû à Millie – Keys a depuis rejoint l’entreprise d’Antwan, ce qui sera d’ailleurs très utile dans le scénario visant à sauver Millie et le monde du jeu vidéo. Bref, l’idée de vol de propriété intellectuelle existe aussi dans ce film, reflétant ce qui se passe dans la réalité, avec un sujet bien complexe. On pense aux procès entre Samsung et Apple à propos de certaines technologies utilisées dans leurs smartphones respectifs.

Au final, Free Guy s’appuie sur de nombreux éléments propres aux jeux vidéo et à l’industrie qui les entoure, en évoquant de nombreuses problématiques internes : bugs, lancement de personnages par complètement aboutis en vue d’un coup marketing… mais aussi des problématiques externes, dont on n’a pas toujours conscience : propriété intellectuelle, escroqueries, enjeux financiers importants… On pense également à tous les aspects de fictionnalité, avec une frontière entre réalité et fiction qui devient de plus en plus mince, sans vraiment qu’on ne sache quel côté prend le pas sur l’autre. Le tout en amenant un questionnement sur l’IA qui résonne fort au vu des évolutions de ces derniers temps à ce sujet. Pour autant, il ne faut pas oublier que Free Guy reste une comédie, qui respecte bien les codes du genre, tout en s’emparant de ceux d’autres univers, pour un scénario assez classique mais qui demeure bien ficelé.

Fabien Imhof

Référence :

Free Guy, réalisé par Shawn Levy, États-Unis, 2021.

Avec Ryan Reynolds, Jodie Comer, Joe Keery, Taika Waititi…

Photos : ©2020 Twentieth Century Fox Film Corporation. All Rights Reserved.

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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