Les réverbères : arts vivants

Moitié l’un, Moitié l’autre

2 frères, 2 histoires, 2 mondes immobiles qui s’entrechoquent et dont les frontières craquèlent sous la force de vie de la nature. La vie reprend dans deux mondes qui s’unissent peu à peu et envahit la scène jusqu’à briser l’espace et porter la fin de la pièce dehors, au-delà du regard du spectateur.

Moitié-Moitié, au Théâtre de l’Orangerie du 17 au 29 août 2021, raconte l’histoire d’un homme, parti depuis neuf ans (presque dix), qui revient un jour dans la maison familiale et qui y retrouve son frère et une mère dans la tombe. Des mauvaises herbes, de la terre et quelques plantes plus tard, la cuisine devient jardin et la vie reprend ses droits au rythme de la réconciliation des 2 frères.

Ce spectacle offre des discussions teintées d’abord de cynisme et de rancœur entre deux frères qui vont philosopher, s’enivrer, cracher sur le monde, leur famille, l’autre, eux-mêmes dans des discours parfois pas très fins mais résolument authentiques. Puis vient la résignation et avec elle, les banalités, la philosophie qui mènent à l’acceptation de soi. Enfin la réconciliation, les paroles d’amour, pour leur mère, pour l’un et l’autre avec leurs regrets et leurs espoirs. Simon Labarrière et Julien Tsongas nous emmènent avec brio dans l’intimité des personnages et nous font vivre leur renaissance portée par la nature qui envahit leur cuisine au rythme où la vie envahit leur cœur.

Le texte, porté par le jeu excellent des comédiens, donne à la relation des deux frères une authenticité plus vraie que nature. Que ce soit dans les propos énoncées qui vont du reproche au compliment en passant par des lieux communs. Ou encore dans les philosophies de la vie, que les personnages s’échangent et se confrontent. L’authenticité y est telle que les tabous sont balayés, ainsi, la grossièreté de certains propos ou de certains comportements perd son côté malaisant et en devient même comique.

Il parvient à faire de brèves discussions entre deux frères, une véritable perle d’humanité et de réel.

Pourtant, l’atout majeur de cette pièce est pour moi le décor, qui va suivre la relation des deux frères, plus ils sont en lien, plus le décor craque, se pare de plantes en tous genres, à tel point que le spectateur reste en suspens de savoir d’où vont venir les prochaines plantes. La cuisine s’agrandit, se démonte, en même temps l’horizon des deux frères grandit quand ils se défigent pour se rencontrer sous cette avalanche de nature qui les ramène à la vie dans la présence imaginaire de leur mère et sous le regard de son portrait figé. La nature finit par prendre tellement de place que la salle ne parvient plus à la contenir et casse, littéralement, les murs pour s’étendre à l’extérieur.

C’est pour moi le contraste entre le surréalisme du décor et le réalisme du texte qui sont pourtant liés étroitement qui rend cette pièce si extraordinaire et en fait une ode à la vie avec les carapaces de deux hommes qui se brisent pour qu’une relation naisse le tout symbolisé par une profusion de nature qui brise l’espace physique jusqu’à briser les murs même de la maison pour porter le duo à briser également leur carapace envers l’extérieur.

Lisa Rigotti

Infos pratiques :

Moitié-Moitié,de Daniel Keene du 17 au 29 août 2021 au Théâtre de l’Orangerie

Mise en Scène : Mariama Sylla

Avec Simon Labarrière et Julien Tsongas

https://www.theatreorangerie.ch/event/25

Photo : © Ariane Catton Balabeau

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