Le banc : cinéma

Nomades des temps modernes

Avec Nomadland, Chloé Zhao signait en 2020 un film en forme de découverte d’un monde hors du commun. On y suit le destin de Fern, une femme partie vivre sur les routes américaines avec son van aménagé, après la crise de 2008.

Empire, Nevada, 2008. L’usine de plâtres qui permettait à la ville d’exister doit fermer, et avec elle le code postal du lieu. C’est un drame pour Fern (Frances McDormand), qui y travaillait depuis de longues années, avec son mari récemment décédé. Elle décide alors de tout vendre pour aménager sa camionnette et partir à la recherche d’un emploi ailleurs. Le premier hiver, elle s’engage comme saisonnière chez Amazon. Mais une fois son contrat terminé, impossible de rester, les frais de l’emplacement où elle garait son van n’étant plus assurés par son employeur. Elle part alors sur les routes, enchaînant des jobs saisonniers et des rencontres avec d’autres nomades ayant adopté la même vie qu’elle. Elle y découvre, et nous avec, un mode de vie alternatif, en-dehors de ce qu’on connaît habituellement.

Un film quasi-documentaire

Nomadland nous emmène dans un milieu que l’on connaît très peu. Le film se base sur le livre éponyme de la journaliste Jessica Bruder, paru en 2017. Elle y a mené une longue enquête afin de documenter ce mode de vie si particulier de celles et ceux qui l’ont adopté. Ces nomades des temps modernes sont principalement des gens âgés, proches de la retraite, qui ont perdu leur travail et ne pouvaient plus faire face à toutes les charges du quotidien, prenant donc la route à la recherche d’une vie meilleure. On pense inévitablement au fermiers durant la Grande Dépression, contraints de partir à l’Ouest où on leur promet monts et merveilles, ainsi que le raconte magnifique John Steinbeck dans Les Raisins de la colère. Ici, l’histoire est certes fictionnalisée, elle n’en illustre pas moins une dure réalité. Pour augmenter cet effet, le casting du film est composé de véritables nomades, à l’exception de Frances McDormand, seul personnage véritablement fictif.

On plonge ainsi dans cet étrange quotidien, pour voir leur réalité. Fern, débutante dans le domaine, se trouve d’ailleurs rapidement débordée. Alors qu’elle demande de l’aide pour aller changer son pneu crevé, elle se fait réprimander par Swankie, qui lui reproche d’être mal préparée. Se liant ensuite d’amitié avec cette femme atteinte d’un cancer, elle apprendra d’elle de nombreuses astuces pour mieux se préparer, faire des économies, et faire face aux imprévus. Elle l’a d’ailleurs rencontrée à un Desert RendezVous, un grand rassemblement de nomades, auquel l’a emmenée Linda, une collègue rencontrée chez Amazon. Bob Wells y fournit un système de soutien et d’entraide à toute la communauté. On assiste à du troc et des échanges selon les besoins de chacun. L’esprit de solidarité qui y demeure fait chaud au cœur, et personne ne juge les autres. L’une des dernières phrases du film, prononcée par Bob Wells, en dit d’ailleurs long sur les liens forts créés par les nomades : « Je ne dis jamais adieu aux gens, ce sont toujours des au revoir. », étant conscient du fait que même s’il ne revoit jamais celles et ceux qu’il a rencontré·e·s, il retrouvera toujours leur esprit, leur amitié et leurs valeurs dans d’autres êtres. Une manière de garder l’espoir après la perte de son fils…

Un drame américain

Sur le papier, Nomadland n’a donc rien d’un feel-good movie. Il illustre même une réalité assez terrible, avec des gens qui ont tout perdu et ont été contraints de prendre la route, sans que cela ne soit véritablement un choix de leur part. Même s’iels se retrouvent régulièrement en communauté, chacun·e d’entre elleux est bien souvent esseulé·e, à l’image de Fern. Les longues scènes sans dialogues l’illustrent bien, amplifiées par les plans larges de la camionnette qui avance seule sur les routes immenses, accompagnée de la magnifique bande-son composée par Ludovico Einaudi – le même qui avait composé celle d’Intouchables, entre autres. Même au sein d’un groupe, le sentiment d’être à part demeure. En témoigne cette scène où Fern rend visite à sa sœur, rencontrant un couple d’amis de celle-ci et ne parvenant pas à véritablement entamer un dialogue, contrairement à ce qui se passe avec les nomades.

Pourtant, on ne peut pas non plus qualifier Nomadland de drame total, dans le sens où ce n’est pas un sentiment de résignation ou de tristesse qui demeure quand le générique de fin débute. Au contraire, on retient plutôt les valeurs qu’on a perçues durant le visionnement, celles d’échange, de soutien, d’entraide, d’écoute. C’est une autre façon de voir le monde, en-dehors des sentiers battus. Même si le quotidien est difficile, notamment en plein hiver, on a surtout envie de se souvenir de toutes ces personnes extraordinaires que Fern a côtoyées durant son périple, et toutes celles qu’elle rencontrera encore. Et si on s’en inspirait, ne serait-ce qu’un petit peu ?

Fabien Imhof

Référence :

Nomadland, d’après le livre éponyme de Jessica Bruder, réalisé par Chloé Zhao, États-Unis, 2020.

Avec Frances McDormand, David Strathairn, Swankie, Bob Wells, Linda May…

Photos : ©DR

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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