Les réverbères : arts vivants

Quand les arroseur·se·s se font arroser

C’est dans le magnifique écrin qu’est le parc de la mairie de Vandoeuvres que prennent place Les joyeuses épouses de Windsor. La farce shakespearienne y exprime toute sa modernité et son inventivité, dans une mise en scène intelligente signée Eric Devanthéry.

Tout commence avec une ribambelle de personnages présentés dans une succession rapide de courtes scènes. Anne Page est promise à Slender, un homme de la bonne société un peu benêt, dont elle ne veut pas. Qu’à cela ne tienne, sa mère, Mistress Page, imagine un subterfuge pour qu’elle épouse le Dr. Caïus et son improbable franglais. Seulement voilà, c’est Maître Fenton qu’elle aime… En parallèle de cela – et c’est ce qui sera finalement l’intrigue centrale de la pièce – le gros Falstaff courtise simultanément Mistress Page et Mistress Ford, pourtant mariées, dans le but de renflouer ses caisses. Vexées d’avoir reçu la même lettre d’amour, elles se joueront de lui et, par la même occasion, de leur mari respectif, avec l’aide de la malicieuse et bien nommée Mistress Quickly. Autour d’elles et d’eux gravitent encore d’autres personnages : le Pasteur Hugh et son accent suisse-allemand, un drôle d’aubergiste, le Juge Shallow qui n’est autre que le cousin de Slender, ainsi qu’un groupe d’enfants qui accompagne régulièrement Mistress Quickly et qui aura un grand rôle à jouer dans cette histoire… Tous ces personnages contribuent à créer les quiproquos qui émaillent la pièce. Et si Shakespeare avait inventé le théâtre de boulevard avant l’heure ?

Un univers moderne

Pour nous montrer à quel point la pièce de Shakespeare n’a pas vieilli, Eric Devanthéry la transpose dans l’Angleterre des années 1970. Tout contribue d’ailleurs à nous le rappeler, à commencer par la bande son. Jouée en live par la guitare d’Anne Page (Zoé Spycher), jamais loin du lieu de l’action, ou par le tourne-disque activé par les différents protagonistes, elle est composée des Rolling Stones, Led Zeppelin, The Beatles ou encore Pink Floyd. Loin de n’être qu’un fond sonore, elle permet de donner la teinte juste à certaines scènes, qu’il s’agisse d’une déclaration d’amour ou soutenir la colère d’un mari jaloux… Les costumes nous rappellent eux aussi la période, avec ces pantalons pattes d’éléphant ou ces chemises (trop ?) colorées. Quant aux membres de la haute société, iels portent des vêtements en tartan, jupe droite pour les Mistresses. Ces dernières ont d’ailleurs chacune une touche de jaune qui peut surprendre : mais un peu moins, dès lors qu’on sait que cette couleur symbolise à la fois la joie et la fête, mais aussi la trahison… On évoquera encore, concernant les costumes, l’utilisation de perruques et autres fausses moustaches permettant de différencier les personnages joués par les mêmes comédien·ne·s et donnant d’ailleurs à certain·e·s un côté parfois grotesque qui sied bien à leur personnalité…

Mais au-delà de la forme, c’est surtout le fond qui nous rappelle la modernité du texte shakespearien, retraduit pour l’occasion. Dans cette formidable machine à jouer, ce sont bien les femmes qui tirent les ficelles. Deux semaines à peine après la grève du 14 juin, voilà un joli clin d’œil ! Et alors que les maris pensent dominer, et que Falstaff cherche à se jouer de tout le monde, ce sont bien eux qui seront les dindons de la farce. Tel est pris qui croyait prendre, dit-on ? N’oublions pas, dans cette histoire, la discrète Anne Page qui se révélera bien plus machiavélique qu’il n’y paraît. Le retournement final n’avait pas été anticipé par Mistresses Page et Ford. Et voilà nos deux arroseuses arrosées à leur tour… Ou comment Shakespeare retombe sur ses pattes, alors qu’on aurait pu se croire perdu au milieu de tous ces personnages et ces intrigues qui s’entremêlent.

Utiliser l’environnement

La véritable originalité de la mise en scène d’Eric Devanthéry est l’utilisation qu’il fait de l’environnement. Jouée à ciel ouvert, cette pièce n’a aucun autre décor que celui proposé par le parc de la mairie. Et la troupe s’en sert à merveille : objets dissimulés dans les buissons, disparition dans les fourrés… Voilà comment se servir des lieux intelligemment. Mais cela va plus loin. Si l’on se montre assez observateur·ice pendant les scènes, on peut apercevoir les personnages qui ne jouent pas à ce moment, déambuler de manière plus ou moins discrète, dans le parc . On verra le Dr. Caïus s’entraîner pour son duel à la rapière, le Juge Shallow s’encoubler dans les cordes ou encore Maître Ford perdre complètement le contrôle en cherchant l’amant de sa femme… Les lieux permettent aussi aux enfants de vaquer librement à leurs occupations, tout en arrivant toujours quand on les attend.

Enfin, l’arbre bicentenaire sous lequel se déroule l’action sert de décor à la scène finale, devant l’arbre de la légende du Chasseur de l’Herne. Et l’on se dit qu’on n’aurait jamais atteint un tel résultat dans une salle. La subtile mise en scène d’Eric Devanthéry tire ainsi profit de la situation, faisant ainsi écho à ce que font les personnages. Ou comment l’ingéniosité de ces Joyeuses épouses de Windsor devient contagieuse…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Les Joyeuses épouses de Windsor, de Sir William Shakespeare, traduction d’Eric Devanthéry, du 25 juin au 9 juillet 2023 dans le parc de la mairie de Vandoeuvres.

Mise en scène : Eric Devanthéry

Avec Rachel Gordy, Léonie Keller, Simon Labarrière, Verena Lopes, Charles Mouron, François Nadin, Florian Sapey, Pierre Spuhler et Zoé Spycher, et les enfants : Adam Rivolta, Heïdi Desfarges, Héloïse, Inès Turrettini, Manon Waldmann, Satine Martinuzzi, Sven Devanthéry

https://www.vandoeuvres.ch/actualite/theatre-en-plein-air-au-parc-de-la-mairie/

Photos : © Magali Dougados

Fabien Imhof

Co-fondateur de la Pépinière, il s’occupe principalement du pôle Réverbères. Spectateur et lecteur passionné, il vous fera voyager à travers les spectacles et mises en scène des théâtres de la région, et vous fera découvrir différentes œuvres cinématographiques et autres pépites littéraires.

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