Quelque chose de gai
Dans Carte blanche à ma mère Valeria Bertolotto est magistrale et nous offre une performance puissante et tendre –– un hommage à sa mère, et à toutes ces petites choses qui font le sel de nos relations les plus intimes. Une pièce à ne surtout pas manquer, au POCHE/GVE jusqu’au 19 février.
Des escarpins et des baskets
Il y a un peu plus de sept ans, en novembre 2017, Alessandra, la mère de Valeria, décède subitement d’une crise cardiaque. Loin d’elle, sa fille, est à Valenciennes pour jouer Ivanov – une pièce dans laquelle, au deuxième acte, la mère avait tant admiré sa fille. Pendant plusieurs mois, une obsession tenaille Valeria, saisir et retracer les derniers instants de sa mère, ses pas, ses gestes. Sur la scène dénudée et dévoilée sans artifice du POCHE/GVE, les portes restent ouvertes comme une invitation chaleureuse à entrer ou à secourir. Valeria, nous donne à voir : sa mère, elle-même, et leur relation. Le temps d’une représentation, elles partagent les mêmes chaussures, le même nez, un même corps. La comédienne, par la finesse de son jeu, change sa coiffure, ses gestes, et sa voix, avec rapidité et exactitude, pour être l’une ou l’autre, et peut-être parfois l’une et l’autre. Dans cette incarnation de l’autre, bien loin d’un simple procédé théâtral, se joue quelque chose qui émeut profondément, comme la face apaisée après l’obsession des derniers instant, l’ouverture d’un espace pour se rencontrer autrement et se confier, avec pudeur, ces choses mal ou pas encore dites. Sur scène soudain, ces gestes qui pouvaient peut-être agacer, entre une mère et sa fille – les lasagnes apportées après la représentation, les petites remarques sur la manière de se coiffer – sont autant de lieux empreints de tendresse et de rire dont on saisit, sous l’apparence du banal et du quotidien, toute l’épaisseur et la richesse. Difficile en tant que spectateur·ice, de ne pas se plonger alors dans nos propres relations, et de songer à toutes ces petites choses qui rendent nos relations uniques et vivantes, à tout ce qui nous relie à ceux et celles que nous avons perdu.
Un one-woman show
« …en tout cas, j’espère que ce sera drôle, que ce sera quelque chose de gai ce spectacle… »[1]
Assistant aux représentations à plusieurs reprises, une fois pour voir sa fille, une autre pour voir le spectacle, se voulant discrète, mais pas toujours autant qu’elle le souhaiterait, Alessandra est la première fan de Valeria, admirative de son talent depuis son enfance, moment où, déjà, la comédienne aimait à imiter sa mère, qui l’a toujours encouragée à faire, un jour, un one-woman show. Et c’est exactement à cela que nous assistons, le solo est façonné des codes de celui-ci. Si l’émotion est présente, parfois dans un geste, un mot, une note de musique, l’on rit aussi beaucoup. Ainsi, à l’image de la carte blanche, sur scène, prennent vie des envies d’Alessandra – c’est elle qui a choisi la musique – ou des souhaits qu’elle avait pour sa fille, incarner Médée de Pier Paolo Pasolini comme Maria Callas. Dans une même dynamique, Valeria va également à la rencontre des passions de sa mère, et prolonge ses rêves (pas toujours réalisés) façonnés de mambo, de grandes actrices tragiques et de flamenco. Il y a là quelque chose de la transmission et d’un lien vivant qui traverse et relie les êtres à leur histoire et à celle de leur époque. À travers un savant jeu de mise en abyme (le théâtre met en scène le théâtre) et de mise en lumière des artifices du spectacle – le public est presque toujours éclairé et les liens avec Fred Jarabo à la régie sont fréquents – on assiste à l’éclosion de quelque chose de réel qui relève à la fois de l’intime et de l’universel, quelque chose qui ne peut prendre forme que dans cet écrin pour se dire véritablement.
Le temps d’une soirée, à celle qui répétait si fièrement, quand elle venait voir sa fille : je suis la maman de Valeria, la comédienne semble répondre avec une infinie tendresse : je suis la fille d’Alessandra.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Carte blanche à ma mère, de Valeria Bertolotto, du 12 au 19 février 2025 au POCHE/GVE et les 10 et 11 avril 2025 au Théâtre populaire romand.
Mise en scène : Valeria Bertolotto
Avec Valeria Bertolotto
Son, musique, création et régie : Fred Jarabo
https://poche—gve.ch/spectacle/carte-blanche-a-ma-mere
Photos : © Rebecca Bowring
[1] Extrait tiré du spectacle