Les réverbères : arts vivants

Un Cadeau pour se reconnecter

Au Théâtre du Loup, Paul Courlet et sa Cie Surprise-Lumière s’apprêtent à nous offrir un Cadeau. L’histoire de trois protagonistes qui rencontrent un marcassin en forêt. Pour en savoir un peu plus, Fabien Imhof s’est entretenu avec Paul Courlet.

La Pépinière : Cadeau s’inspire d’un album, Trigonométrie, que vous avez composé avec une bonne vingtaine d’invité·e·s. Il s’inspire de vos promenades au bord du Doubs notamment. Comment en êtes-vous arrivé à passer de ces promenades, à un album, pour finalement aboutir à un spectacle ?

Paul Courlet : C’est un petit peu un concours de circonstances. Au moment du Covid, j’ai eu beaucoup de temps pour me balader en forêt, comme la situation faisait que c’était difficile d’avoir du travail. C’est ce qui m’a inspiré les chansons, que j’ai d’abord enregistrées en solitaire chez moi. Puis, j’ai fait participer des gens, histoire aussi de reprendre contact. Cela s’est fait piste par piste, ponctuellement, avec chacun·e. On n’était jamais tous et toutes ensemble, donc ça a mis un certain temps. Ensuite, un copain qui a un label, Sbire Records, m’a proposé de sortir un vinyle, ce qu’on a fait. L’idée du spectacle, ensuite, est venue de discussions avec des gens qui ont écouté le disque. J’avais besoin de ces encouragements pour me remettre dans des projets. Les histoires qui sont racontées dans les chansons sont devenues des pistes pour créer quelque chose. Donc cela s’est fait un peu comme ça, à travers des discussions.

Ensuite j’ai rencontré Juliette et Maky. On a eu plusieurs discussions avec Juliette d’abord. Je lui ai parlé de mon projet, je suis allé voir son spectacle, et on en a parlé à plusieurs reprises. Puis avec Maky également, petit à petit, on a parlé de l’idée de reprendre l’histoire du marcassin d’une des chansons. À partir de là, on a donc travaillé les trois ensemble, en procédant par de l’écriture de plateau en répétitions. On a fait beaucoup d’improvisations, qu’on a enregistrées, puis rejouées en playback. D’ailleurs, la première scène du spectacle a été jouée en forêt et enregistrée. On la rejoue sur le plateau, et donc tout ce qu’on entend, c’est ce qu’on peut appeler de la musique concrète, c’est-à-dire que ce sont vraiment les sons qu’on entend dans la forêt. Ensuite, dans la création, on a mis cela en son et en scène en quadriphonie, avant d’enregistrer le reste sur le plateau. On a vraiment un processus qui passe du micro à la scène, puis au texte.

La Pépinière : Le propos du spectacle est assez intriguant, avec ces trois ami·e·s qui rencontrent un étrange marcassin, dont le rôle demeure assez mystérieux. Il est question de passage, de forêt intérieure, de quelque chose de l’ordre du cathartique. Que pouvez-vous nous en dire ?

Paul Courlet : C’est vraiment cette rencontre avec le marcassin qui va faire complètement basculer l’intrigue. Les trois protagonistes se retrouvent dans un monde totalement dérangé, différent, avec une forêt qui a l’air pixelisée, reconstituée. On ne sait pas trop si ce sont des souvenirs ou autre chose. En tout cas, on passe de l’autre côté de quelque chose, libre à chacun·e d’interpréter ça comme il ou elle veut. Est-ce un délire psychédélique, parce qu’ils ont pris de la drogue ? Est-ce qu’ils sont morts ? Quoiqu’il en soit, il est arrivé quelque chose d’important qui fait qu’on est transporté·e dans un autre univers, à travers un gros basculement. Le marcassin symbolise cela et ce qui va se passer après. Les personnages vont petit à petit perdre l’usage du langage et leur mémoire. Cela va les conduire à comprendre qu’il faut écouter le monde, que cela en vaut la peine. Cette perte de parole s’accompagne aussi d’une perte d’ego, pour au final entrer dans des situations où ils écoutent et où le corps se retrouve en mouvement. Mais rien de tout cela n’est vraiment explicite.

La Pépinière : Dans le dossier de presse, vous parlez de cette forme de désenchantement et de névrose qu’on peut ressentir face au monde, avec cette impression que tout a déjà été fait et vu. Vous prônez, au contraire, une redécouverte de cet enchantement du monde, qui existe à condition qu’on ouvre bien les yeux. Le rôle de l’art dans cette quête est primordial pour vous ?

Paul Courlet : De l’art et de la poésie, surtout, pour avoir un regard sur ce qui nous entoure. C’est vraiment cette histoire de réenchanter le monde. Selon comment on regarde à travers sa fenêtre, cela peut tout changer. Dans les chansons, on parle de ce qu’il y a autour de chez nous, mais que personne ne voit. Cela peut être par exemple un sentier qu’on redécouvre, mais dont personne n’a connaissance, simplement parce qu’on ne regarde pas. Donc je dirais que c’est surtout ce regard et la force de la poésie.

La Pépinière : Cadeau, c’est aussi une invitation à reconnecter, retisser la continuité entre le corps et l’esprit, à travers la danse notamment. Il y a donc cette idée d’émotions véhiculées par tout cela qui est centrale ?

Paul Courlet : Cette dimension-là est vraiment propre au spectacle, avec la danse qui intervient. Le rapport au corps devient très important, et évidemment, on ne pouvait pas l’avoir dans l’album. C’est une couche en plus dans cette idée de reconnexion. Il n’y a plus que le corps qui parle, parce que les personnages n’ont plus de mots. Il y a aussi un côté danse contemporaine, même si ce n’est pas cela qu’on fait. En tout cas, on glisse de quelque chose d’assez bavard, où on parle pour ne rien dire, à quelque chose où on (re)devient vraiment des êtres vivants, sensibles, qui écoutent et ressentent plus les choses.

La Pépinière : Cadeau sera donc un spectacle pluridisciplinaire, dans lequel il y aura de la danse, de la musique, et du jeu bien sûr. L’idée, en connectant ces différentes disciplines, c’est aussi de recréer des connexions à l’intérieur de soi. Et puis, en plus des trois acteur·ice·s au plateau, il y aussi ces « invisibles » dont il est question dans la distribution. Que pouvez-vous nous en dire ?

Paul Courlet : Le spectacle est essentiellement constitué de sons. La bande sonore est très importante, parce que c’est principalement elle qui crée le décor. Il n’y a rien sur scène : à part quelques accessoires, le plateau est vraiment nu. Quant à ces invisibles, ce sont les voix avec lesquelles on dialogue, et qui interviennent par moments. Ils n’ont pas de corps, mais on interagit avec. Ce sont des voix qui pourraient être des souvenirs, des fantômes… en fait on ne sait pas trop ce que c’est, chacun·e peut interpréter comme il veut. Mais on comprend en tout cas qu’il s’est passé des choses avant, qui ont conduit à la situation dans laquelle sont les personnages.

La Pépinière : Paul Courlet, merci beaucoup pour cet échange ! On se réjouit de découvrir le spectacle au Théâtre du Loup et de voyager dans ce nouvel univers !

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Cadeau, de Paul Courlet et la Cie Surprise-Lumière, du 18 au 20 février 2025, au Théâtre du Loup.

Mise en scène : Paul Courlet, avec la contribution de Mathilde Aubineau et Floriane Comméléran

Avec Paul Courlet, Maky Grochain et Juliette Vernerey

https://theatreduloup.ch/spectacle/cadeau/

Photos : ©Rémy Rufer (banner) et ©Philippe Maeder (photos dans l’article)

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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