Transcender les maux par les mots
Au Galpon, on retrouve sur scène une danseuse qui parle. Dans Dense/Scénario, Louise Hanmer retrace son parcours, de ses multiples casquettes à son accident, en passant par le handicap de sa sœur, pour tenter de dépasser les maux dont elle a souffert. Un spectacle à voir jusqu’au 16 février.
Tout commence dans la pénombre, sur une musique qui ressemble à un bourdonnement. Louise Hanmer apparaît puis s’appuie sur la chaise qui se trouve au centre du plateau. Pendant une heure, elle narre son parcours, de son rôle de danseuse à celui de chorégraphe ou encore de psychomotricienne. Elle raconte cette chute qui lui a fait perdre l’usage de trois doigts à la main gauche, la trisomie de sa sœur, sa maternité tardive… autant de sujets, parmi d’autres, qui peuvent être tabous dans le milieu de la danse, car souvent jugés comme empêchant. Pourtant, la volonté de créer ne l’a jamais abandonnée. Dans Dense/Scénario, un texte qu’elle fait mûrir depuis cinq ans, Louise Hanmer navigue entre récit, anecdotes et souvenirs de danse dont elle rejoue des parties sur scène, sans oublier de nombreuses références à d’autres artistes qui ont compté sur la scène genevoise ou internationale.
Une danseuse qui parle
C’est avec cette formule intrigante que Nathalie Tacchella, co-directrice des lieux, accueille le public en préambule du spectacle. Comme nous l’expliquions dans notre reportage, il est question dans cette pièce de handicaps, visibles ou non. Mais Dense/Scénario s’avère aussi, et surtout, être un véritable spectacle d’arts vivants, qui en parle et les raconte, avec les paroles et le corps. Alors que l’on pourrait penser que Louise Hanmer narre quelque chose de tragique, elle choisit l’humour pour désamorcer tout cela. Sans jamais tomber dans le potache, c’est plutôt une dimension absurde, un humour à la british qui nous est présenté sur scène. Entre jeux de mots et surprenantes chutes à certaines anecdotes, elle crée un décalage qui permet de ne jamais tomber dans le dramatique, tout en gardant le sérieux de son propos. Ce choix fait de Dense/Scénario un spectacle qui n’est jamais larmoyant ni plaintif. Et Louise Hanmer semble se nourrir de cela, réagissant aussi à ses propres bafouilles – dont on ne sait jamais si elles sont prévues ou non – et aux rires du public.
En plus de cela, Louise Hanmer n’hésite pas à incarner des personnages, pour (re)jouer certaines scènes. On pense à cette prof de danse un peu fantasque – s’agit-il d’elle-même ou d’une rencontre qu’elle a faite ? – à cette scène d’Indiana Jones ou encore cette rencontre imaginée avec Michael Jackson, sa grande idole d’enfance. À travers ces moments, quelque chose de l’ordre de l’onirique se dessine, hors du temps et de la réalité, pour transcender cette dernière. Exit les handicaps et autres barrières qui l’entravent, Louise vit pleinement l’instant présent. N’oublions pas également d’évoquer les passages dansés, et ce besoin d’exprimer avec le corps ce que les mots ne peuvent dire. L’occasion, aussi, de se rappeler d’anciennes productions, pour un joli moment de nostalgie.
Un travail d’équipe
Si Dense/Scénario est un seule-en-scène qui vise à dépasser les maux, il faut toutefois souligner que Louise Hanmer n’est pas vraiment seule dans cette histoire. Telle une ombre qui apparaît à certains moments, Thérèse Weibel, scénographe du spectacle, fait bouger des éléments de décor et reproduit certains gestes de Louise. Une référence à sa sœur avec qui elle dansait durant son enfance ? Ou s’agit-il d’un clin d’œil à la jeune Louise qui suivait ses modèles ? Toutes les questions sont permises.
On évoquera également ce jeu avec la musique, composée par Clive Jenkins, qui oscille entre le mélancolique, l’intensité, la joie, la tristesse, avec de jolies envolées pour accompagner le corps dansant et virevoltant de Louise. Citons enfin les lumières, imaginées par Leo Garcia et Guillaume Rossier, et ce travail sur le jeu d’ombres projetées sur les panneaux en fond de scène. Le tout ajoute à la dimension onirique du spectacle, avec un grand pouvoir de suggestion. L’expérience est alors tout à fait complète, et beaucoup y ont contribué, dans toutes les dimensions que présente ce spectacle d’arts vivants, au sens large. Et à travers lui se pose cette question fondamentale, autour du destin et de la vie, sur laquelle nous laisse Louise : « et vous, vous avez déjà eu envie d’appuyer sur pause ? »
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Dense/Scénario, par la Breathless_Cie, du 11 au 16 février au Théâtre du Galpon.
Conception, texte et jeu : Louise Hanmer
Conseil à l’écriture : Jérôme Richer
Accompagnement dramaturgique : Anne-Laure Sahy
Regard extérieur : Simona Ferrar
Musique : Clive Jenkins
Lumières : Leo Garcia et Guillaume Rossier
Scénographie : Thérèse Weibel
Costumes et administration : Barbara Schlittler
Collaboration costumes : Maria Muscalu
https://galpon.ch/spectacle/dense-scenario/
Photos : ©Erika Irmler