Voir le monde autrement : poésie des métaphores avec la Cie Singe Diesel
À l’heure où tout va trop vite (les voitures, les réseaux sociaux, l’économie et la géopolitique internationales), le TMG fait le pari de… la lenteur – ou plutôt, du chemin le plus long. Bienvenue dans une drôle de fête foraine, perdue en pleine forêt, avec Le Chemin des métaphores, du 1er au 12 février au TMG.
Une métaphore, qu’est-ce que c’est ? Il y a la réponse encyclopédique : c’est une figure de style (un trope, comme on dit en rhétorique) qui consiste à désigner une chose par une autre en se fondant sur l’analogie. Par exemple : chaque pièce de théâtre est un voyage ou l’imagination est une clef qui ouvre le monde. Mais on peut aussi donner une réponse plus personnelle – comme le propose la Cie Singe Diesel, que l’on avait déjà applaudie au TMG avec Kazu (2022).
Une métaphore, c’est avant tout… de la poésie.
Une flèche… deux chemins
Dès le début, Le Chemin des métaphores nous emmène dans des sentiers de traverse. Cela commence dans le foyer, où Aline Di Maggio nous accueille : « Je vous donne les informations ici, car vous le verrez, tout est déjà en place sur scène. » De fait, au moment où nous pénétrons dans la salle, un décor de fête foraine nous fait tourner la tête. Manège en bois, guirlandes lumineuses, petite cabane un peu de guingois… dans laquelle est assis Juan Perez Escala, qui fait un brin de lecture.
Peu à peu, le silence se fait, l’onirisme s’installe… et nous pénétrons sur la route du conte, presque sans nous en apercevoir.
Symbolisée par un panneau où deux flèches inversées sont dessinées (celle sur le verso pointe dans un sens… celle au recto dans un autre !), cette route s’avèrera aussi amusante que sinueuse – à l’image de la pantomime introductive de Juan Perez Escala, qui ne sait plus dans quel sens marcher à mesure qu’il tourne et retourne son panneau. Visuellement, nous voici déjà dans les tours et détours que les métaphores à venir vont nous offrir.
Deux flèches… un chemin
Celui qui va découvrir ces métaphores s’appelle Max. Ce vieil homme pressé prend, chaque jour, le même chemin pour traverser la grande ville, celui qui passe par une forêt, dans laquelle il ne s’arrête pas, tant il doit se hâter. Pourtant un jour, tout change pour Max. À un croisement, il hésite. Sur un panneau, une flèche indique « Chemin rapide… et l’autre « Chemin lent ». Les deux pointent dans la même direction… mais laquelle choisir ? Un escargot articulé par une astucieuse manivelle (un peu à la manière d’une boîte à musique) lui donne la solution : « L’endroit d’arrivée va être exactement le même, mais c’est toi qui va être différent à la fin. » Ni une, ni deux, Max sort de sa zone de confort. Il emprunte le « Chemin lent ». Et plonge dans le monde des métaphores.
En chemin, il va découvrir toutes sortes de personnages – garde-barrière malicieux, conteur de la forêt, vieux géant à la longue barbe, drôle de robot de bois… Qui sont-ils ? Des habitants de la forêt, des rêves issus de l’imagination de Max (ou de celle des arbres), des personnifications des métaphores elles-mêmes ? Difficile à dire, mais chaque rencontre sera pour notre héros l’occasion d’un échange qui l’enrichira, lui donnera confiance en lui… ou lui permettra de redonner confiance à l’autre. D’une mise en abyme à une autre, Max entendra des contes – comme celui d’Émile, l’homme le plus riche du monde, qui grâce à son exceptionnelle mémoire était capable de fixer d’un clin d’œil tous les détails d’une scène dans son esprit… et donc, de posséder le monde ! Une jolie manière de rebattre les cartes en s’interrogeant sur les fondements de la possession et de la richesse…
Au fil de son aventure, Max s’interrogera également sur les liens intimes qui unissent langage et imagination – réalité littérature et poésie figurée. Tandis que les lumières de la fête foraine s’allument au-dessus du public, il se posera des questions aussi amusantes qu’essentielles : est-ce la forêt qui cache l’arbre… ou l’arbre qui cache la forêt ? peut-on faire une tarte aux pommes avec une pomme de pin ? faut-il enterrer les feuilles mortes ? Grâce à Max, nous découvrons autrement le monde et les éléments qui le peuplent. En mettant l’imagination et la poésie au centre, il nous rappelle l’essentiel : notre rapport au réel ne passe que par la représentation que nous en avons.
D’Alice à Big Fish
Éloge de l’imaginaire et du figuré, de la lenteur et d’un autre regard… Le Chemin des métaphores offre une pause dans la trépidation du monde.
En suivant les tribulations de Max au sein de cette étrange forêt, impossible de ne pas penser à Lewis Caroll et son Alice au Pays des merveille, où les chemins de traverse et les jeux sur le langage prenaient une grande part. On y retrouve le même pacte de lecture – une suspension volontaire de l’incrédulité, au profit d’un onirisme poétique dans la construction duquel les marionnettes conçues par Juan Perez Escala et Églantine Quellier jouent un très grand rôle. Jouant avec les échelles, elles s’inspirent des jeux pour enfants (mobiles, boîtes à musique, automates, matriochkas, …) dans une esthétique à la fois brute (pour le côté sculpture) et douce (pour les couleurs qui rappellent un album illustré). Emblématique de la pièce, l’idée du manège de fête foraine n’est jamais loin – comme en témoignent les nombreuses manivelles qui permettent de faire tourner les marionnettes. Cette omniprésence du manège, alliée à l’imaginaire des chemins qui serpentent, évoque une autre œuvre qui met l’imaginaire au centre de son propos : le film Big Fish, réalisé par Tim Burton et sorti en 2003. On y retrouve la même gourmandise narrative, la même manière de détourner le réel pour le voir autrement – avec une poésie tendre, souvent aussi mystérieuse que rocambolesque !
Quand on sait que Juan Perez Escala a imaginé cette histoire pour sa fille, qui avait été placée dans une classe d’enfants plus jeunes car elle n’allait pas assez vite, on comprend mieux cet éloge de la lenteur. Prendre Le Chemin des métaphores, ce n’est pas aller plus lentement… c’est aller autrement, en prenant le temps de voir les choses différemment, de « trouver les choses que l’on ne cherche pas » – ce qui est tout aussi bien, voire parfois mieux ! « J’ai écrit cette pièce pour rassurer ma fille (et me rassurer aussi) », nous explique Juan Perez Escala, « pour lui dire que faire les choses plus lentement, ça peut aussi être une force. » Au bout du périple, Le Chemin des métaphores nous mène à bon port : parvenu·e·s en compagnie de Max de l’autre côté de la forêt, nous sommes prêt·e·s à replonger dans l’agitation de la grande ville… mais avons été irrémédiablement changé·e·s par notre voyage au pays de la poésie.
Et ça, c’est le plus important.
Magali Bossi
Infos pratiques :
Le Chemin des métaphores, de Juan Perez Escala, du 1er au 12 février 2025 au Théâtre des Marionnettes de Genève.
Conception, texte et interprétation : Juan Perez Escala
https://www.marionnettes.ch/spectacle/le-chemin-des-metaphores
Photos : © Thomas Kerleroux