Réhabiliter le premier clown noir
En 2016, Roschdy Zem narrait l’histoire du premier artiste noir sur la scène française. Dans Chocolat, inspiré du roman de Gérard Noiriel, on découvre toute l’influence de ce clown méconnu sur la période qui a suivi.
Nous sommes en 1897. Le modeste cirque Delvaux cherche à renouveler ses numéros. Celui qu’on nomme Kananga (Omar Sy) et qui joue le rôle d’un cannibale noir – selon les clichés de l’époque – s’associe alors à George Foottit (James Thierrée) pour créer un nouveau numéro. C’est la naissance du premier duo clowns blanc et noir, avec ce dernier dans le rôle du souffre-douleur qui se fait botter les fesses chaque soir : on le nommera désormais Chocolat. Leurs numéros ont tellement de succès que les deux compères sont engagés à Paris, au Nouveau Cirque. Une fois encore, la réussite est au rendez-vous et, rapidement, elle monte à la tête de Chocolat, qui tombe dans les dérives des jeux d’argent et de la chair féminine. En parallèle, il prend conscience que l’image négative du stéréotype noir, utilisée un peu partout, commence à le peser. Il veut changer, jouer Othello au théâtre, à la place d’acteurs blancs grimés, et surtout, qu’on l’appelle enfin par son vrai prénom. Malheureusement, on est à la fin du 19ème siècle, et cette volonté d’émancipation signera le début de la fin pour lui…
Redécouvrir un artiste méconnu
Avant le livre de Gérard Noiriel, et surtout avant le film de Roschdy Zem, le clown Chocolat était tombé dans l’anonymat et l’oubli. On connaît aujourd’hui les duos incontournables du clown blanc et de l’auguste, mais on ne se rappelle pas forcément leurs origines. À travers cette histoire, magnifiquement portée par Omar Sy et James Thierrée, on en apprend plus sur cette histoire. Chocolat résonne alors comme une véritable réhabilitation.
Plusieurs questions se posent alors : pourquoi était-il tombé dans l’oubli ? Et pourquoi le réhabiliter en 2016 seulement ? On peut aisément se douter de la réponse à la première interrogation : le succès d’une personne noire à l’époque passait mal auprès du public, s’il n’entrait pas dans les stéréotypes : le voir en tant que cannibale, ou se faire botter les fesses à chaque représentation convenait parfaitement au public du début du siècle dernier. Mais quand il s’agit d’incarner un héros shakespearien, c’est une toute autre histoire… Pourtant, Rafael – on n’apprendra son véritable nom que tard dans le film – souffre qu’on véhicule une image dégradante de lui – en témoigne l’affiche pour du cacao sur laquelle il figure et où on ne le reconnaît pas, au contraire de Foottit… – et des noirs en général. L’exposition à laquelle il assiste avec sa compagne et les enfants de celle-ci est d’ailleurs un moment particulièrement insoutenable : on y présente des indigènes ramenés des colonies, montrés comme des sauvages qu’il ne faut pas nourrir et dont il ne faut pas trop s’approcher. Cette offuscation résonne d’autant plus en 2016 que le mouvement Black Lives Matter prend une certaine ampleur depuis trois ans. On comprend alors mieux la réalisation d’un film comme Chocolat à ce moment-là, et alors que la France tente, à petits pas, d’offrir une meilleure représentation de la diversité dans son paysage audiovisuel.
Le reflet d’une époque
Chocolat est un film qui n’épargne pas. Si le ton est à la comédie au début, avec toute la légèreté du comique des clowns, le succès des deux comparses, leur humour et les histoires d’amour de Rafael, cela ne dure pas. Loin d’être manichéen dans son scénario, Chocolat montre comment Rafael se met lui-même dans des situations compliquées, avec une dépendance au jeu et aux prostituées… Le voilà qui prend toujours la situation à la légère, au contraire de Foottit, à qui il reproche d’ailleurs de ne jamais rire. Mais si Rafael a ses torts, il n’en demeure pas moins une victime du racisme ambiant – et assumé à l’époque : un policier l’arrête, le soupçonnant de ne pas avoir de papiers simplement parce qu’il est noir ; il est tabassé par des hommes à cause de ses dettes de jeu, hué par le public après la première représentation d’Othello… Le public de l’époque n’est ainsi pas prêt à accepter un artiste noir et son succès, sauf s’il continue d’entrer dans les stéréotypes qu’on attend de lui. Tout cela finira par le briser, et il terminera sa vie dans l’anonymat et la tuberculose. Avec toutefois cette magnifique scène finale, où il retrouve Foottit, son ami de toujours avec qui il avait fini par être en froid. Ce dernier rit enfin, de bon cœur, avant le dernier soupir de Rafael, qui gardera ainsi cette belle dernière image de sa vie.
Fabien Imhof
Référence :
Chocolat, réalisé par Roschdy Zem, France, 2016.
Avec Omar Sy, James Thierrée, Olivier Gourmet, Clotilde Hesme, Frédéric Pierrot, Noémie Lvovsky, Olivier Rabourdin…
Photos : © DR