Les réverbères : arts vivants

Du potache qui tache

Un Molière à la sauce récréation – Les Femmes (trop) savantes d’après Molière, une création de Brigitte Rosset, Christian Scheidt et Olivier Gabus – spectacle en tournée.

Il y a sur scène comme une toile peinte par le Douanier Rousseau qui aurait posé son chevalet au marché aux puces de Saint-Ouen. C’est foisonnant de détails, mélange d’éléments naturels et d’objets hétéroclites. Un décor plein de trouvailles et de promesses qui seront amplement tenues, qui soutiennent une mise en scène iconoclaste retirant par là même la couverture plein cuir d’une pièce de Molière pour la remplacer par un papier fluo. Car il en va de Molière comme de Mozart, on peut cuisiner leurs œuvres à toutes les sauces sans rien perdre.

Les Femmes Savantes, c’est un joyeux classique qui sait toujours amuser le public. Philaminte espère marier sa fille à Trissotin, mais la fille veut épouser Clitandre qui ne répond pas aux normes de sa mère. Du Molière chimiquement pur.

Acte 1, scène1. Les premiers vers sont présentés avec les pratiques scéniques en vigueur au XVIIe siècle avec jeux, gestes et déclamations d’époque que n’aurait pas renié Georges Forestier, archéologue de l’interprétation théâtrale du Grand Siècle. Surprise, fausse piste, ce choix de mise en scène capte l’attention par l’étonnement. C’est intelligent, surprenant et drôle.

Puis, le spectacle décolle ! La salle comprend la règle du jeu et se régale des premières bouffonneries. Brigitte Rosset et Christian Scheidt comme l’a chanté Sarcloret y vont : à fond les ballons, à fond les manettes, à fond les vélos ! Expression de cours d’école certes, mais ici nous y sommes en plein. Ce spectacle, c’est du potache qui tache ! Accompagné par Olivier Gabus, musicien et tour à tour bruiteur puis comédien qui, par ses mimiques au long du spectacle rappelle la Coccinelle de Gotlib. Ici, tout n’est que drôlerie, ruptures et virevoltes.

Les trois artistes jouent l’ensemble des personnages avec une mise en scène pleine de trouvailles, sans déséquilibre, qui accompagnent les vers de Molière en plein respect du texte, ponctué par des apartés burlesques qui invitent Alice Sapritch ou Shirley et Dino sur scène.

Il y a de la Silent Comedy dans ce spectacle. Le montage au cinéma, les séries poussent le théâtre à faire preuve d’audace. Tout va plus vite. Le rythme est un des ressorts fondamentaux de la comédie.

C’est la rapidité, la vivacité, l’imagination qui fait toute la force de cette production. Une adaptation virevoltante fidèle à l’idée de Molière de faire rire le public.

Les perruques des personnages passent d’une tête à l’autre, les chevaux s’emballent, les bonniches s’encoublent, les promesses de mariages s’embourbent, la mégère est inapprivoisable, le père pleutre pète de trouilles tandis que les jouvencelles et le jouvenceau poireautent dans la salle d’attente du possible mariage, dont la musique solennelle sortira tout droit d’un disque de Joe Dassin.

Un spectacle cocasse, plein d’énergie et rafraîchissant de drôlerie joué avec bonheur par des sales gamins qui s’amusent sur scène et qui réciteront plus tard en classe et sans faute, un vers de Molière : Qui veut noyer son chien, l’accuse de la rage, et service d’autrui n’est pas un héritage.

Un pétillant spectacle tel un verre de fête, où les bulles d’intelligence scéniques et drolatiques régalent le public.

Jacques Sallin

Infos pratiques :

Les Femmes (trop) savantes, une création de Brigitte Rosset, Christian Scheidt, Olivier Gabus – spectacle en tournée.

Mise en scène : Robert Sandoz – Julia Portier

Avec  Brigitte Rosset, Christian Scheidt, Olivier Gabus

Photos : ©  Stéphane Schmutz

Jacques Sallin

Metteur en scène, directeur de théâtre et dramaturge – Acteur de la vie culturelle genevoise depuis quarante ans – Tombé dans l'univers du théâtre comme en alcoolisme… petit à petit.

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