Les réverbères : arts vivants

Révélations théâtrales par le journalisme live

L’Usine à gaz accueillait Alexis Poulin et la cie Superamas pour un spectacle pas comme les autres : dans L’homme qui tua Mouammar Kadhafi, entre interview et conférence, le journaliste fait face à un ancien membre de la DGSE, pour apporter des éclaircissements autour de la mort de l’ex-dictateur libyen. Poignant.

Alexis Poulin est l’un des co-fondateurs du média en ligne « Le Monde Moderne ». Régulièrement invité sur les plateaux télé français pour évoquer des questions brûlantes d’actualité – comme en attestent les images projetées en préambule du spectacle – il collabore pour ce spectacle avec le collectif Superamas. Ensemble, ils reprennent les éléments d’une enquête de longue haleine menée par le journaliste autour des circonstances et des causes qui ont mené à la mort de Mouammar Kadhafi. À l’occasion de ses recherches, il a pu rencontrer un ancien membre de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure, autrement dit les services de renseignements français) qui était en mission en Libye précisément entre 2007 – quand la guerre a débuté – et 2011, à la mort du dictateur. Il a accepté de monter sur scène, aux côtés d’Alexis Poulin, pour se prêter à l’exercice de l’interview et dévoiler ce qu’il sait de cette affaire…

Un spectacle en deux temps

Après une brève introduction, Alexis Poulin convie son invité – dont nous ne connaîtrons pas le nom – à le rejoindre sur scène. Dans un premier temps, nous explique-t-il, il s’agira de revenir avec lui sur son parcours, la manière dont il a rejoint la DGSE et son travail au sein de l’organisation. En laissant même au public l’occasion d’intervenir pour poser ses questions à la fin, dans un processus qu’il nomme le « journalisme live ». Si l’on peut penser que l’interview est préparée, d’autant plus dans le cadre d’un spectacle de théâtre, les interrogations du public peuvent prendre l’homme au dépourvu. Pour autant, cette première partie plus « légère » qui nous en dit un peu plus sur le fonctionnement de la DGSE. Rappelons de suite une information essentielle et qui devrait être connue de toutes et tous : l’espionnage à la James Bond, ça n’existe pas ! Toutefois, pour se donner une idée assez fidèle, le journaliste et son invité évoquent l’excellente série française Le bureau des légendes, qui se rapproche bien plus de la réalité. Pour faire simple, l’invité nous explique sa formation en relations internationales, le concours passé pour rejoindre la DGSE, son quotidien et sa couverture en Libye. Engagé comme directeur adjoint de l’Institut français de Libye, il a pu avoir un lien privilégié avec le gouvernement en place. Pour les détails, le mieux est encore d’assister au spectacle. Sa mission était principalement de renseigner la France sur les différents agissements dont il avait vent.

Après cette première partie, nous entrons véritablement dans le vif du sujet : Alexis Poulin, accompagné d’un membre du collectif Superamas, nous plonge dans ce qui a été au cœur de son enquête : le procès de Nicolas Sarkozy, lié au financement soupçonné par le clan Kadhafi – et qui aurait ainsi largement dépassé le budget autorisé – ainsi que la guerre en Libye, jusqu’à la mort du dirigeant. Une histoire complexe dans laquelle beaucoup d’éléments sont liés. Surtout lorsqu’Alexis Poulin nous parle de toute l’investigation judiciaire et des différentes personnalités, libyennes ou françaises, qui ont joué un rôle dans cette affaire et dont aucune n’est aujourd’hui en état de parler, étant soit morte – souvent dans des circonstance suspectes – soit dans le coma, soit portée disparue… Voilà qui est bien étrange… Pour bien nous aider à les situer, il dépose des portraits dessinés des différents protagonistes sur la scène, alors qu’à l’écran s’affichent les éléments clés du discours d’Alexis Poulin. Mais quid de la mort de Kadhafi ? Pour en éclaircir les circonstances, et tenter de comprendre également pourquoi l’État français et ses alliés ont déclenché une guerre chez un soi-disant ami de la France, retour à une phase d’interview, plus sombre, plus profonde, plus prenante encore que la première. En construisant ainsi ce spectacle, Alexis Poulin et Superamas parviennent à nous tenir en haleine, en faisant monter la tension crescendo. Si bien qu’on a envie de rester encore et encore, pour connaître d’autres détails croustillants… Mais tout est-il bien vrai ?

Entre réalité et fiction

Bien sûr, ce spectacle s’appuie sur une véritable investigation d’Alexis Poulin : les infos qu’il a récoltées sont vraies, tout est étayé par des sources fiables, les allusions aux éléments judiciaires sont des faits avérés. Pour autant, on se trouve bien sur une scène de théâtre. On est alors en droit de se demander où s’arrête la part de réalité et où commence la fiction. Y a-t-il d’ailleurs une part de fiction ? C’est là tout l’enjeu de ce spectacle et tout l’intérêt d’avoir choisi le théâtre comme médium privilégié. François Rancillac disait : « On doit, au théâtre, faire, avec du faux, plus vrai que le vrai. » Comprenez par-là que tout doit être vraisemblable. Alors, quand tout un spectacle s’appuie sur une véritable enquête, interviews et autres documents à l’appui, la question devient de plus en plus épineuse ! Et l’on ne peut s’empêcher de se demander si l’invité en question est un comédien ou véritablement l’ancien membre de la DGSE. Si l’on a aucun doute sur son existence et les révélations faites à Alexis Poulin, on peut toutefois se demander dans quelle mesure il n’est pas dangereux pour lui, et même s’il est autorisé, de se montrer ainsi à visage découvert. Et ce, bien que son nom ne soit pas mentionné.

Dès lors, cela induit un autre questionnement : quelle part de ce qui est dit est avérée et quelle part est fantasmée, créée pour le théâtre ? L’invité, à plusieurs reprises, insiste sur le fait qu’une partie de ses réponses ne sont que des suppositions, par rapport à ce qu’il a observé sur place et ce qu’il connaît du fonctionnement de la DGSE. Il en va ainsi concernant la silhouette noire que l’on voit distinctement se faufiler dans l’ambulance qui transportait Mouammar Kadhafi après son lynchage public, et de laquelle il ne ressortira pas vivant. Quant à savoir à qui était lié cet homme, celui qui tua Mouammar Kadhafi, à chacun·e de se faire sa propre idée, à la lumière de ce qu’Alexis Poulin et son invité nous apprennent durant le spectacle. On n’en dira pas plus ici, vous laissant simplement sur les paroles de la bande originale qui a inspiré le titre du spectacle, et par laquelle il se termine d’ailleurs :

« ‘Cause the point of a gun was the only law that Liberty understood. » (Gene Pitney – (The man who shot) Liberty Valance)

Fabien Imhof

Infos pratiques :

L’homme qui tua Mouammar Kadhafi, de Superamas, à l’Usine à gaz les 13 et 14 octobre 2022.

Mise en scène : Superamas

Avec Alexis Poulin et Superamas

https://usineagaz.ch/event/lhomme-qui-tua-mouammar-kadhafi-collectif-superamas/

Photos : © Simon Gosselin

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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