Dans les dérives des réseaux sociaux
Avec Trigger Warning, le POCHE/GVE tape fort pour sa deuxième création de la saison ! Un spectacle coup de poing, mettant en scène des jeunes face aux réseaux sociaux qui peuvent bien vite les submerger. Une pièce qui figure la saturation, à voir jusqu’au 23 octobre.
Nous voilà en pleine nuit blanche ; elle avance au rythme des notifications Instagram et autres messages WhatsApp. Tout ce qu’on peut trouver sur les réseaux s’entrecroise dans cette drôle de nuit : des conversations futiles, des commentaires encourageants comme haineux, des vidéos – témoignages profonds comme tutos makeup –, des messages de harcèlement… Trigger warning (« avertissement de déclenchement » selon la traduction littérale) offre un aperçu plutôt exhaustif de ce que véhiculent les réseaux sociaux, surtout chez les adolescents. Au milieu de tout cela apparaît Zed (Aurélien Gschwind), 16 ans. Le terme est rapidement lâché : Zed est « genderfucked ». Comprenez par-là qu’iel perturbe les rôles de genre. On ne sait trop si c’est un homme, une femme, une personne non-genrée ou autre dénomination encore… Et cela fait beaucoup jaser ! Jusqu’à ce que Zed soit mentionné dans une story de son amie Lola. Le buzz est en route. Mais que s’est-il passé ? Il faudra attendre la fin du spectacle pour le savoir. En attendant, plongeons dans les méandres des réseaux sociaux, de la publication de Lola à la réaction finale de Zed…
Un dispositif immersif
Le premier élément frappant de la mise en scène d’Isis Fahmy se situe dans la salle : les sièges du POCHE/GVE sont surmontés de mâts sur lesquels sont accrochés des petites enceintes connectées. D’abord intrigué·e·s, nous comprenons bien vite à quoi elles servent. Rapidement, certains mots prononcés résonnent comme des échos, le son arrive de partout. Nous voilà submergé·e·s de signaux et d’informations. Le climax se situera dans le déferlement de commentaires adressés à Zed suite à la story de Lola : comme un bourdonnement, tout se mélange, des messages de soutien à ceux qui n’ont rien à voir avec la situation, mais aussi et surtout les propos haineux et insultes, parmi lesquelles le mot « pute » revient fréquemment. Nous voilà donc immergé·e·s comme si nous étions dans la tête de Zed, avec ces termes qui reviennent et résonnent, sans parvenir à nous en sortir. Et cela devient rapidement insupportable…
Sur la scène, le décor qui est également employé pour Éveil/Printemps, qui se joue en parallèle, figure une sorte d’escalier blanc géant. Zed se trouve presque tout en haut, alors que les trois autres comédien·ne·s (Bénedicte Amsler Denogent, Jérôme Denis et Zacharie Jourdain), qui endossent tous les autres rôles, ne dépasseront que rarement la deuxième marche. Faut-il y voir un symbole de la « hiérarchie » sur les réseaux ? Zed y serait un·e influenceur·euse au-dessus de la masse de ses followers… Le fait que ses « amis » se rapprochent petit à petit, jusqu’à terminer à sa hauteur, évoquerait dès lors ces barrières qui finissent par tomber. Surtout, ce qui frappe dans la mise en scène, c’est le dispositif sonore mis en place par Benoît Renaudin. Sur la scène trônent plusieurs micros (sept ou huit peut-être au total), qui modifient chacun la voix d’une façon différente, ou ne servent qu’à la faire résonner. Le jeu sur les sonorités permet ainsi de figurer les notifications, les messages vocaux, les appels parfois saturés… C’est bien cette saturation que l’on retient, comme s’il y avait trop de signaux, de tous les côtés, pour que nous puissions les trier. Et voilà que les personnages adolescents de Trigger Warning semblent dépassés.
Des dangers des réseaux sociaux
Alors, qu’est-ce que cela nous dit, finalement ? Trigger Warning met en scène des adolescents, d’environ 16 ans. C’est dire s’il s’agit de personnes qui maîtrisent les subtilités de ces réseaux. En apparence du moins… Car bien vite, iels sont dépassé·e·s : le déferlement de commentaires négatifs devient difficile à gérer émotionnellement. Preuve en est avec Zed qui préfère, dans un premier temps, s’isoler avec sa musique, sans ouvrir les messages. Mais la réalité nous rattrape bien vite, et il faut faire face à cette haine. Le risque étant de trop en garder à l’intérieur et d’exploser, comme nous le fait bien sentir ce moment de messages résonnant dans les enceintes évoqué précédemment.
Trigger Warning s’interroge également sur d’autres questions de fond, comme ce qui touche la jeunesse aujourd’hui. Le terme « genderfucked », rapidement lâché, questionne ainsi le genre, l’appartenance ou non à une catégorie donnée. Si le spectacle n’apporte pas de réponse claire quant à la façon de se définir de Zed, il montre néanmoins que c’est une thématique qui touche la jeunesse aujourd’hui, et qu’elle s’interroge là-dessus : certain·e·s de manière plutôt naïve et innocente, d’autres de façon plus virulente et jugeante. D’où les dangers des réseaux sociaux : caché derrière un pseudo, on se permet de dire toutes les horreurs possibles, qu’on formulerait sans doute différemment en face-à-face. Ajoutons à cela que tout ce qui est déposé sur internet y reste pour toujours. Et Zed s’en rendra compte bien vite, suite à la story de Lola… On vous laisse découvrir la raison par vous-mêmes !
Fabien Imhof
Infos pratiques :
Trigger Warning, de Marcos Caramés-Blanco, du 3 au 23 octobre 2022 au POCHE/GVE.
Mise en scène : Isis Fahmy
Avec Aurélien Gschwind, Bénedicte Amsler Denogent, Jérôme Denis et Zacharie Jourdain
Photos : © Carole Parodi
Intéressant,
il y a une histoire peu connue en francophonie que je voulais raconter et qui entre dans ce sujet.
En 2012, une jeune Norvégienne de 15 ans passionnée de musique avait écrit une chanson pour un devoir de classe, « I had a dream ». Cette chanson était si bonne (« ennuyeuse » dit son autrice 🙂 ) qu’elle la chanta à la fête de son lycée sous la pression de ses enseignants et qu’elle fut filmée à son insu. La vidéo fut postée sur les réseaux sociaux, devint virale, fit le tour du monde, partagée des centaines de milliers de fois, des milliers de fans se révélèrent et elle attira des producteurs qui bondirent sur la prodige. Mais cette jeune fille s’isolait seule dans ses forêts norvégiennes pour composer depuis l’âge de 6 ans, écrire et chanter depuis ses 9 ans des chansons pas du tout enfantines comme « Running with the Wolves » « Lucky » « Runaway »… mais pas pour elle, pour les autres, elle ne voulait pas devenir chanteuse. Elle refusa d’abord les contrats mais sa mère lui dit « Tes chansons font du bien, tu dois les partager » et les producteurs finirent par la convaincre. Elle fit une tournée mondiale, devint célèbre mondialement et fut effrayée par ses centaine de milliers de fans spontanés qu’elle appela ses « warriors » ou ses « weirdos »…
Cette artiste s’appelle AURORA (Aksnes), c’est sans doute l’une des plus grandes chanteuses de tous les temps (notamment une voix unique qualifiée d’extra-terrestre due à son autodidactisme), elle n’écrit que des chansons engagées comme « The seed » ou « Queendom » (plus de 1000), sa chanson « Runaway » est la plus partagée au monde… et elle est encore peu connue en francophonie, refuse toujours d’écrire des « chansons qui passent à la radio » (et n’en fait qu’à sa tête) ce qui désespère ses producteurs.
Un article ici
https://www.francetvinfo.fr/culture/musique/rock-en-seine/rock-en-seine-2022-entre-folk-et-electro-pop-cosmique-la-fee-aurora-ensorcellera-les-planches-francaises_5325703.html
Mémoire