Le banc : cinéma

Revoir Paris pour se reconstruire

Une histoire bouleversante inspirée de faits réels, une Virginie Efira impressionnante de sincérité, un traitement lumineux pour ne pas être larmoyant : tous les ingrédients sont réunis pour un magnifique film. Avec Revoir Paris, la réalisatrice Alice Winocour signe une œuvre intimiste et universelle d’une splendide justesse.

Mia (Virginie Efira) est interprète de russe. Son compagnon Vincent (Grégoire Colin) est chef de service dans un hôpital. Un soir, alors qu’ils sont au restaurant, Vincent est appelé pour une urgence. Mia s’arrête à « L’Étoile d’Or » sur le chemin du retour, surprise par la pluie. C’est là que tout bascule : au milieu de la soirée, un groupe d’assaillants débarque et mitraille les lieux. L’attentat narré dans Revoir Paris s’inspire de la terrible soirée du 13 novembre 2015 et les événements du Bataclan, à laquelle Jérémie, le frère de la réalisatrice, a survécu. Après trois mois passés à la campagne, Mia rentre à Paris et, souffrant d’une amnésie partielle, rejoint une association d’aide aux victimes. Elle y fait la rencontre de Félicia (Nastya Golubeva Carax), une adolescente qui a perdu ses parents durant cette soirée, ainsi que de Thomas (Benoît Magimel), qui fêtait son anniversaire et a été gravement blessé aux deux jambes. Tous deux vont l’aider à retrouver la mémoire, jusqu’à ce que Mia se remémore comment elle s’en est sortie et se souvienne d’Assane (Amadou Mbow), qui lui a tenu la main durant cette soirée. Dès lors, elle fera tout pour le retrouver, afin de boucler cette histoire et réapprendre à vivre malgré le traumatisme.

Sincérité sans lamentation

Revoir Paris dégage une grande impression de sincérité. Rien ne semble en trop dans ce film. Loin des scénarios hollywoodiens grandiloquents, la pudeur qui ressort de ce film fait du bien. Et pour cause, comme nous le disions, le frère de la réalisatrice, qui a survécu aux attentats du Bataclan, a en partie inspiré ce scénario. Le film lui est d’ailleurs dédié. Pour aller plus loin encore dans le respect des victimes et la justesse des faits, Anna Winocour s’est nourrie de ses propres souvenirs, et a également rencontré des psychiatres et des victimes pour approfondir son script.

En voyant Revoir Paris, on comprend mieux pourquoi Virginie Efira a obtenu un César pour ce rôle. Avec un jeu tout en retenue, son personnage ne craque jamais excessivement. Si bien qu’on y croit à tous les instants. Quelques scènes sont marquantes à cet égard, comme celle du gâteau d’anniversaire, qu’elle demande à une amie d’apporter au salon juste après avoir allumé les bougies, avant de se réfugier dans les toilettes en compagnie de son chat. Les bribes de souvenirs qui lui reviennent, sous forme de flashback, montrent le gâteau de Thomas, bougies allumées, quelques minutes avant l’irruption des assaillants. Le choc du traumatisme est ainsi amené de manière subtile, mais qui permet de mieux apprécier la réaction de Mia. Une réaction que son compagnon Vincent ne parvient d’ailleurs pas à comprendre. Il lui demande d’ailleurs – ce qui choque notre regard – quand elle va enfin recommencer à être normale. Sa réaction contraste avec celle de l’épouse de Thomas, heureuse que son mari ait rencontré Mia et puisse partager ses souvenirs avec quelqu’un qui, au contraire d’elle-même, comprend et partage ce traumatisme avec lui. La relation entre les victimes est ainsi soulignée, et même la scène de sexe entre Mia et Thomas est montrée avec une grande pudeur, l’accent étant mis sur la découverte, sans mots, des cicatrices de chacun·e.

Raconter au-delà de l’individu

Revoir Paris, à travers l’histoire de Mia, raconte quelque chose de plus universel. La grande force du scénario est de pouvoir montrer différents points de vue. Ceux de l’entourage des victimes ont déjà été évoqués, tout comme la belle relation qui se noue entre Mia et Thomas. Mais il y a aussi l’envers du décor, avec la colère et l’émotionnel qui prend le dessus. À l’image de Camille (Anne-Lise Heimburger) qui s’en prend à Mia, l’accusant de n’avoir pensé qu’à elle et de s’être enfermée dans les toilettes pour se protéger, au mépris de la vie des autres. Ou quand les émotions biaisent les souvenirs. Mia finira d’ailleurs par se rappeler des événements, et se souviendra avoir effectivement croisé Camille aux toilettes, mais c’était avant l’entrée des terroristes, ce qu’elle ne manquera pas de lui rappeler.

Car Revoir Paris est aussi un film sur les souvenirs. Mia cherche à retrouver la mémoire, ne sachant plus très bien ce qui s’est passé pour elle, alors que d’autres préféreraient oublier. À travers cela, Alice Winocour illustre tout le paradoxe et les différents modes de pensée des victimes. Alors, chacun·e à sa manière cherche une source de consolation, une manière de surmonter, au moins en partie, le traumatisme, comme un symbole pour avancer. La scène la plus marquante à cet égard – et qui nous fait d’ailleurs fondre en larmes – est sans doute celle des Nymphéas de Monet. Félicia y retrouve le détail d’une carte postale reçue de ses parents, après de longues minutes de recherche. Ce détail, qui la rapproche de son passé, agit comme une source de réconfort pour elle, qui semble enfin pouvoir avancer après cela. Une scène sans aucun mot prononcé, mais qui dit tellement de ce que ressent l’adolescente. Le pouvoir des mots est également enfin à l’œuvre dans la scène finale du film. Alors que Mia finit par retrouver Assane, elle lui adresse une simple phrase, qui porte pourtant tellement de sens, et illustre toute la lumière que véhicule Revoir Paris : « Merci de m’avoir tenu la main. »

Fabien Imhof

Référence :

Revoir Paris, réalisé par Alice Winocour, France, 2022.

Avec Virginie Efira, Benoît Magimel, Grégoire Colin, Maya Sansa, Amadou Mbow, Nastya Golubeva Carax…

Photos : ©Pathé Distribution

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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