Les réverbères : arts vivants

La Bande J déconstruit les contes

Du 9 au 18 mai, la Parfumerie accueillait comme de coutume la Bande J, issue des ateliers Acrylique, pour Le conte né de la dernière pluie. Cette année, Léon Boesch et Lucien Thévenoz, avec la complicité des interprètes, ont proposé une réinterprétation des contes de notre enfance, pour mieux les questionner.

L’histoire qui nous est contée sur le plateau de la Parfumerie consiste en une forme de mise en abîme peu évident à résumer. De nombreux contes sont convoqués, comme Le joueur de flûte de Hamelin, La Belle aux bois dormants, Le Petit chaperon rouge, Peter Pan, et bien d’autres. À l’origine de tout cela, il y a les rats-conteurs, tels Grimm, Perrault ou Carroll, qui ont la mainmise sur les personnages et leur avenir. Ainsi, quand la fille du tavernier vient à leur rencontre, prête à devenir un personnage à l’avenir brillant, cela inspire à Andersen une histoire qui finit mal, dans laquelle il est question d’une petite fille et d’allumettes… Dans ce spectacle, on retrouve également un prince, accompagné de son chevalier, qui viennent chanter la sérénade tous les soirs à une princesse qui n’en peut plus ; des méchants qui n’en sont peut-être pas vraiment ; les beaucoup d’enfants qu’ils eurent… Ensemble, ils et elles réinventent les contes sous nos yeux, pour en questionner les stéréotypes et autres injonctions intériorisées par les personnages.

Revoir les stéréotypes

Le fait de présenter les conteurs comme des rats en dit long sur la manière dont ils sont perçus dans cette histoire. S’il évoque l’intelligence en Orient, il est plutôt propagateur de maladie et enclin à détruire les récoltes en Occident. Cette vision plus négative se ressent dans le traitement de ces personnages, plutôt enfermés sur eux-mêmes et maîtres de toutes leurs histoires. Dès qu’un rat-conteur nouveau tente de sortir des carcans ou que les personnages s’émancipent, ils n’apprécient pas envoie un rat-porteur leur donner tous les détails, quitte à appeler la police d’écriture pour qu’elle intervienne.

Dès la présentation initiale, on comprend que nos habitudes en matière de contes seront bousculées : et si les loups étaient des boucs-émissaires ? Que deviennent les beaucoup d’enfants qu’ils eurent à la fin du conte ? Le lien avec Peter Pan et les enfants perdus est tout trouvé. L’écriture du conte né de la dernière pluie s’avère donc particulièrement fine, raccordant entre eux des contes même éloignés, pour en proposer un joli tour d’horizon. En choisissant également d’intégrer un conte nouveau, le spectacle parvient à interroger les stéréotypes sans pour autant tout déconstruire. Le prince et le chevalier sont ainsi critiqués pour la répétition de leurs sérénades et leur manque d’originalité, tandis que la princesse se rebelle et incarne une figure forte. Celle-ci est aussi questionnée, à travers les excès dans lesquels elle tombe. La force de ce spectacle est de ne pas tomber dans la démagogie, avec une forme d’interrogation plus que de jugement. La critique est bien présente, certes, mais de manière intelligente et construite. Elle donne également à voir les personnages oubliés de l’histoire, comme la servante qui rêve d’avoir sa propre histoire, ou celle du Grand Poucet – le frère du Petit – qui s’intègre dans celle du prince, du chevalier et de la princesse. On imagine donc plus loin que le conte, en questionnant aussi sa structure et la manière de l’écrire, dans une dimension méta bienvenue.

Un spectacle signé Bande J

Dans Le conte né de la dernière pluie, on retrouve tout l’ADN de la Bande J. Il y a, déjà, cette énergie folle : les acteur·ice·s semblent être presque constamment en mouvement, sans pour autant tomber dans l’excès. Surtout, le spectacle mêle jeu théâtral, danse et chant. On apprécie tout particulièrement les chorégraphies de groupe, avec une mention spéciale pour celle sur Britney Spears. On s’appuie aussi sur les forces et les talents de chacun·e. On évoquera à cet égard la scène de combat façon parkour, avec ses figures acrobatiques et autres roulades ; ou encore le jeu de flûte traversière, pour convoquer Le joueur de flûte de Hamelin.

Surtout, on apprécie l’humour omniprésent dans Le conte né de la dernière pluie. On notera le nombre de jeux de mots – et une scène particulièrement marquante dans laquelle ils s’enchaînent – sur les rats. Au-delà de cela, ce qui frappe dans ce spectacle est la construction des liens entre les contes, au sein d’une histoire plutôt complexe. S’il est difficile de parvenir à donner un rôle à chacun·e, vu le nombre de comédien·ne·s sur scène, Le conte né de la dernière pluie y parvient grâce à plusieurs trames d’histoires qui s’entrecroisent, avant de se rejoindre. Le final éclaire toutes les incertitudes et éventuelles incompréhensions que nous avions jusque-là. L’écriture parvient à nous en dire suffisamment pour qu’on comprenne l’histoire, sans pour autant tout dévoiler d’un coup, maintenant un suspense bienvenu. C’est aussi cela, la grande force de la Bande J : créer de toute pièce un spectacle qui se tient, avec une troupe conséquente, mais au sein de laquelle tout le monde est bien visible et à son rôle à jouer.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Le conte né de la dernière pluie, de Léon Boesch et Lucien Thévenoz, avec la complicité des interprètes de la Bande J, à La Parfumerie, du 9 au 18 mai 2025.

Mise en scène : Léon Boesch et Lucien Thévenoz, avec la complicité des interprètes

Avec Valentine Amorim Neto, Fabio Ben Zaïd, Camille Berlin, Khalil Bing Ruegsegger, Vivian Delapierre, Anahita Mota Chalier, Raphaël Moutet, Antoine Peduzzi, Mael Ribi, Camilo Strasser, Margot Vité, Liv Zahn et Nour Zanni

https://www.laparfumerie.ch/evenement/le-conte-ne-de-la-derniere-pluie-bande-j/

Photos : ©Cie Acrylique

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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