Sans mythologies, mais avec poésie
Un long poème, une adresse, un ami. C’est en substance le contenu de Sans mythologies, un ouvrage signé Guillaume Favre, paru aux éditions Cousumouche en 2016.
« Le roman est forcément plus prosaïque, moins
replié sur les morts, on cut, on delete, on
ne craint pas les anglicismes, ni les mots
blessés, dégoulinants de sang, on jette, on
recolle rarement, on enlève les bouts de gras,
le surplus, ce qui dépasse, ce qui pend, on
tranche, on se méfie de la formule, tombeau,
cellule du langage, aucune phrase n’est sacrée,
tout n’est que récit » (p. 21)
Avec Sans mythologies, Guillaume Favre emmène le lecteur dans un texte poétique, une « suite de mots en cascade » tel que le décrit le quatrième de couverture. Il s’adresse à l’ami perdu, évoquant avec lui leurs souvenirs, lui faisant part de son désarroi, de ses incertitudes, de sa colère, de ses regrets… Il parle de leurs différences, l’un poète, l’autre romancier. La rupture, la perte, la douleur, ce sont des thèmes récurrents de Sans mythologies.
« Je ne sais jamais quoi faire de ma colère
La violence me fait peur
Pas les coups, les blessures
L’infini de la violence, jamais rassasiée, nourrie
d’elle-même
Comme un fleuve gonfle sous les eaux de pluie,
sort de son lit, inonde
Vagues immenses, démesurées, ravageuses
Tsunami
Et terreur
Infinie elle aussi
Que fais-tu de l’actualité ?
Que fais-tu du monde ?
Honteux le monde ? » (p. 31)
Le style, avec ces lignes qui se succèdent sans qu’on comprenne toujours la construction des phrases, est parfois déroutant. Pourtant, on suit Guillaume Favre dans sa pensée, comme si les mots venaient d’eux-mêmes, à la suite les uns des autres, sans forcément toujours avoir un lien compréhensible entre eux. Véritable fil de pensée poétique, Sans mythologies raconte cette amitié pourtant si forte, qui s’est perdue, avec le temps, avec les aléas de la vie. Deux visions du monde qui se collisionnent, s’opposent, et parfois se rejoignent. Un poète et un romancier. L’un écrit en prose, l’autre en vers. Et le texte fait le lien entre les deux. Comment décrire ce style ? Poésie en prose ? Prose en vers ? On ne sait trop… Les vers sont libres, comme la pensée du narrateur. Les règles n’ont pas d’emprise sur l’écriture de Guillaume Favre. La ponctuation fluctue, s’envole, revient. Et le lecteur la suit. Il s’accroche aux mots de l’auteur, aux fulgurances de sa plume, à certaines perles qu’il retient.
« Derrière tes rideaux
Recopies-tu toujours autant de vers ?
Noircir, noircir, noircir
Comme une prière
Peu importaient les mots
Gribouiller encore et encore
Chercher la lumière dans le noir le plus profond
Noircir
Pas un jour sans
Tyrannie du vers
Pour le romancier, la tyrannie ne se limite pas
à la ligne, disons plutôt au paragraphe, au
mouvement dans le paragraphe, au mouvement
dans la ligne, à la sensation du mouvement
dans la ligne déployée dans le paragraphe
Une tyrannie toute narrative » (pp. 17-18)
Le texte lie les deux amis, les deux styles. Il réfléchit aussi, pense. Comment définir la poésie ? Qu’est-ce que le langage ? La poésie et les romans n’ont-ils vraiment rien en commun ? Ce sont les questions sous-jacentes, qui parviennent par moments au lecteur.
« Ça va, ça vient les mots
La fureur poétique ne tombe plus du ciel
L’éclair de génie foudroie plus qu’il n’éclaire
Esprits mal éclairés du XXIe siècle
Sans lumières
Sans phares
Sans rêves
Drones échoués dans la nuit
L’inspiration
Ça ne vient pas d’en haut mais des tréfonds
Ça racle
Ça grince
Ça écorche » (p. 18)
Que dire encore de Sans mythologies ? Qu’il est difficile de le décrire en si peu de mots, tant il s’agit d’un objet littéraire qu’on n’a pas l’habitude de voir. Alors oui, Guillaume Favre déroute. Mais surtout, il émeut, il touche le lecteur, en parlant de l’amitié, avant qu’elle soit perdue, de l’éloignement, des déceptions, des colères, de la perte, du langage aussi. Chacun y verra ce qu’il veut, ce qu’il ressent. Mais pour ce moment hors du temps, hors du commun, cher Guillaume, j’aimerais te dire merci. Et c’est à toi que je laisserai la parole pour conclure.
« Le langage n’est pas un métier
Juste du souffle avant qu’il se raréfie » (p. 71)
Fabien Imhof
Référence : Guillaume Favre, Sans mythologies, Éditions Cousumouche, 2016.
Photo : © Fabien Imhof