Se construire via l’autofiction
« Mais il est clair que sans le hasard, le désordre, l’étourderie et les vacances de monsieur Fleming, ce dernier n’aurait jamais reçu le Prix Nobel en 1945 et je ne serais pas là pour vous en parler. C’est sûrement pour ça que je suis devenu bordélique et que je laisse toujours tout en plan avant de partir en vacances. On ne sait jamais… » (p. 24)
Ainsi se termine le premier chapitre de Toutes les fois où j’ai failli mourir, une autofiction signée Pierre-André Sand, aux éditions du Chien Jaune. Le titre de l’ouvrage pose immédiatement le décor : à travers onze épisodes, l’auteur raconte comment il est passé tout près de la mort, qu’elle soit physique ou symbolique. Enfant des années 50-60, Pierre-André Sand a grandi dans la cité de Vieusseux. C’est à travers ces anecdotes qu’il partage qu’il s’est construit étant enfant, lui qui rêvait de devenir un grand. Il choisit donc le format de l’autofiction, une autobiographie quelque peu romancée, pourrait-on dire, pour se raconter, lui, plus jeune, et comment il a cherché à comprendre et appréhender le monde.
« Le magnifique cèdre bleu de l’Atlas s’élevant au milieu de la cour de mon école était mon Everest à moi. Ses trente mètres de haut étaient mon huit mille. Je ne l’ai escaladé qu’une seule fois jusqu’à son sommet, mais je n’ai pas senti le besoin de m’en vanter. Tous les mômes du quartier essayaient régulièrement d’attraper les lourdes branches basses pour tenter de s’y percher, mais elles étaient bien trop grosses pour s’y agripper facilement. On se contentait alors de tourner autour de son pied de colosse qui faisait bien dix mètres de circonférence. Aujourd’hui, je me rends compte de la dangerosité de mon projet. » (p. 65)
Après avoir échappé de peu à la mort durant les premières semaines de sa vie, Pierre-André a vécu de nombreuses aventures : un presque enlèvement après suivi une inconnue, une chute d’un cerisier, la pousse d’un haricot à l’intérieur de son oreille ou encore une drôle d’escapade sur un matelas pneumatique… C’est à travers tout cela qu’il a appris le danger, les bonnes ou les mauvaises fréquentations, qu’il a pris conscience de certaines chose aussi. Car c’est avec le recul de l’adulte qu’il écrit ses mots, enjolivant ou exagérant sans doute certaines situations, ainsi que l’autofiction le lui permet. Les souvenirs d’enfance, on le sait, peuvent être erronés ou, au contraire, magnifiés. Ainsi, dans chaque chapitre, Pierre-André Sand part d’un élément précis, soit en rapport avec son souvenir, soit avec un événement ou une mode de l’époque, avant de nous plonger dans sa propre histoire. Tel un chat, il retombe toujours sur ses pattes et recrée le lien entre les différents éléments, même quand celui-ci nous échappait quelque peu.
« C’est alors que, à la sortie d’un virage serré à gauche où le soleil ne perçait jamais le rideau de sapins, la voiture glissa sur une plaque de verglas et, n’obéissant plus du tout aux coups de volant de mon père, continua toute seule sa course en plein sur un éboulis de terre et de caillasse au pied d’une de ces falaises. La 4CV monta dessus et, déséquilibrée sur deux roues, se renversa doucement sur le côté droit, puis sur le toit pour faire un lent tonneau sur l’autre flanc juste avant le ravin. Il s’en était fallu de peu. » (p. 87)
Tout le récit est raconté à la première personne, en mêlant la vision enfantine et naïve à celle de l’adulte qui écrit des années plus tard. Les expressions employées semblent parfois datées, mais c’est aussi ce qui fait le charme de cette autofiction. Nous sommes ainsi plongé·e·s dans les années 50-60, où cette histoire prend place. Pierre-André Sand réussit d’ailleurs l’osmose entre l’adulte qu’il est aujourd’hui et l’enfant qu’il était. Le recul est présent, mais il se replonge dans ses souvenirs comme s’il les vivait à nouveau, embarquant le/la lecteur·ice avec lui. On entend alors nos parents ou nos grands-parents raconter leurs histoires, on se revoit plus jeune, avec cette question inévitable : Quand a-t-on cessé d’être un enfant ? Si la réponse est propre à chacun·e d’entre nous, Pierre-André Sand, lui, a la sienne, qu’il nous délivre à la toute fin de son autofiction. Quant à savoir ce qui l’a conduit à ce moment, il ne vous reste plus qu’à lire Toutes les fois où j’ai failli mourir :
« Là, je me rendis compte que je ne pouvais plus prendre la vie comme un jeu d’enfant, et sans le vouloir vraiment, j’étais devenu adulte, presque à regret, alors que j’avais passé mon enfance à vouloir être grand. » (p. 173)
Fabien Imhof
Référence :
Pierre-André Sand, Toutes les fois où j’ai failli mourir, Autofiction, Édition du Chien Jaune, 2023, 173 p.
Photo : © Fabien Imhof