Les réverbères : arts vivants

Se mettre en scène dans une enquête

Au répertoire du POCHE/GVE depuis le 15 mars dernier, Pacific Palisades s’inspire d’un étrange fait divers. Guillaume Corbeil, auteur québécois, s’en empare et s’imagine mener l’enquête, en se faisant passer pour un journaliste. À  moins que cela ne se soit vraiment passé…

Tout commence avec l’histoire de Jeffrey Alan Lash : cet homme de 60 ans, apparemment sans histoire, est retrouvé mort, enroulé dans un tapis, dans le coffre de son SUV, dans une zone isolée en Californie. C’est sa fiancée, Catherine Nebron qui a alerté la police, deux semaines après le décès. Jeffrey lui avait dit être un agent secret extraterrestre et que si elle le laissait là, son organisation viendrait le chercher. Il n’en a rien été… Après sa mort, la police fouille sa maison et y trouve un arsenal de 1200 armes automatiques et plus de 200’000 dollars en cash. On lui découvre également de nombreuses aventures. Qu’en est-il réellement ? C’est la question que se pose Guillaume Corbeil à travers l’enquête qu’il mène. Mais cette enquête, est-elle inventée ou bien réelle ? Pacific Palisades, du nom du quartier où vivait Jeffrey Alan Lash, reste toujours sur le fil du rasoir…

Entre réalité et fiction

Le récit se développe sous la forme d’un monologue narratif. Guillaume Corbeil y raconte comment il s’est fait passer pour un certain M. Pawelski, journaliste pour « Le Devoir », un grand quotidien canadien. Son histoire est appuyée par des enregistrements de dialogues qu’il a tenus pendant son enquête : avec le voisin du Air BNB (à qui le spectacle est d’ailleurs dédié), un chauffeur de taxi, les maîtresses de Jeffrey Alan Lash. Des images des lieux, des photos des divers protagonistes sont également projetées à l’écran. Si bien qu’on a véritablement l’impression d’assister au récit d’une véritable enquête.

Si le fait divers a bien existé[1], on est en droit de se demander si l’enquête de Guillaume Corbeil est bien réelle. Tout est fait pour instiguer le doute chez le spectateur. D’abord, l’auteur est joué par Céline Nidegger. Le fait d’avoir choisi une femme pour incarner cet homme crée une première distanciation fictive. Le décor s’apparente à l’intérieur d’un appartement, avec un canapé, une table basse et une petite cuisine/bureau en fond de scène. S’agit-il du Air BNB qu’il a loué à Los Angeles, ou de son propre appartement, depuis lequel il imagine toute cette enquête ? La présence des cartons de pizzas et des bouteilles de bière qui s’accumulent nous donnent peut-être un élément de réponse : en plein travail, il reste des heures devant son ordinateur à écrire, faire des recherches, se nourrissant uniquement de tout cela. Et quand on sait que Guillaume Corbeil aime se mettre en scène et s’inventer des histoires…

Comme un thriller

Ce qu’on apprécie dans ce texte et dans la mise en scène de Céleste Germe, c’est bien sûr cette indécision entre fiction et réalité. C’est, aussi, le fait qu’elle joue sur divers degrés de mise en scène. Alors que Céline Nidegger s’adresse directement au public, en disant être Guillaume Corbeil, l’introduction se clôt par un tulle sur lequel est projeté un générique de film. On est au cinéma. Comme pour nous créer un décalage fictif plus clair.

Au-delà de ça, ce sont les fausses identités qui interpellent. Il y a d’abord celles de Jeffrey Alan Lash. Est-il véritablement un extraterrestre, un agent secret, ou a-t-il inventé tout cela ? Au fil de l’enquête, on apprend qu’il a séduit de nombreuses femmes, à chaque fois sous une identité différente : pilote de ligne, transporteur pour un cartel de drogue… Du côté des enquêteurs également on retrouve plusieurs identités : Céline Nidegger interprète Guillaume Corbeil qui lui-même se fait passer pour un journaliste. On assiste ainsi à une forme de thriller théâtral schizophrène.

Pour autant, on ne se perd pas dans le récit, qui reste parfaitement cohérent, malgré toutes les directions que prend l’enquête et la multitude de personnages qui s’y immiscent. Sans parfaitement démêler le vrai du faux, on se laisse prendre dans l’enquête, comme dans un film à suspense. Et l’on ne peut qu’être ébloui par la performance de Céline Nidegger, qui, au-delà du monologue, interprète aussi toutes les femmes que rencontre Guillaume Corbeil, celles qui ont gravité autour de Jeffrey Alan Lash. Quant à savoir où se trouve la vérité…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Pacific Palisades, de Guillaume Corbeil, au répertoire du POCHE/GVE depuis le 15 mars 2022.

Mise en scène : Céleste Germe

Avec Céline Nidegger

https://poche—gve.ch/spectacle/pacific-palisades/

Photos : © Mélanie Groley

[1] On peut en trouver un résumé par ici : https://www.theguardian.com/us-news/2015/jul/23/jeffrey-alan-lash-firearms-spy

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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