S’en sortir sans sortir : Enfermé à vie
Depuis plusieurs années, le Département de langue et littérature françaises modernes de l’Université de Genève propose à ses étudiantes et étudiants un Atelier d’écriture, à suivre dans le cadre du cursus d’études. Le but ? Explorer des facettes de l’écrit en dehors des sentiers battus du monde académique : entre exercices imposés et créations libres, il s’agit de fourbir sa plume et de trouver sa propre voie, son propre style !
La Pépinière vous propose un florilège de ces textes, qui témoignent d’une vitalité créatrice hors du commun. Qu’on se le dise : les autrices et auteurs ont des choses à raconter… souvent là où on ne les attend pas !
Le confinement a été une période particulièrement stressante – mais étonnamment riche en inspiration. Autour de la question « comment s’en sortir sans sortir ? », Matthieu Schmidt vous propose sa vision personnelle de la situation… en vers et avec mode d’emploi, s’il vous plait !
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Sors donc boire un vers !
Comment s’en sortir sans sortir ?
Commettre sortie sans mentir ?
Comment sentir mais se tenir ?
Commencer à se contenir ?
Comment s’en sortir sans sortir ?
Raisonner sans terme à son triste sort,
Résonner comme airain, ne pas servir,
Commémorer sa sienne mort.
Comment s’en sortir sans sortir ?
S’entraîner aux accents terriens et retirés !
Se terrasser et s’i rôtir [l]a pea[u] !
Écarter carrément, créer et rire ! [Sou]rire, si on ose !
Et préte[x]ter
Se so[uv]enir.
Note d’intention de l’auteur : Le projet de ces trois compositions auxquelles j’ai donné une forme poétique identifiable (un quatrain de huit pieds) est de représenter le confinement. La progression est celle de la psychologie du confiné qui :
1) Se trouve enfermé dans une phrase (je n’utilise jamais d’autres lettres que celles présentes dans la phrase « comment s’en sortir sans sortir ») hermétique (quatrain de huit pieds), ressemblant un peu aux dimensions d’une chambre close, d’un confinement, d’une quarantaine (multiple de quatre). Les vers (jours ou groupes de jours, la semaine est la strophe), « comme[ncent] » toujours de la même manière et se heurtent aux mêmes débuts (allitération en « t ») et aux mêmes fins (tir/tir – tenir/tenir). Le point d’interrogation qui revient, c’est l’incertitude des débuts. Les rimes, les journées sont plates, suivies. Thématiquement, les questions posées sont les questions de la première semaine, par quelqu’un qui prend ce confinement très au sérieux : comment vivre (et donc sortir) sans transgresser la loi ?
2) Les strophes commencent toujours par la même question. C’est la question cruciale dans un confinement. Après la panique et l’extrémisme de la première strophe, la deuxième strophe s’apitoie sur son sort. Elle voit qu’elle ne sert à rien, ne pouvant plus aimer, elle est inutile (« résonner comme airain, ne pas servir ») ; elle n’existe plus sans un Autre, et n’a plus qu’à se souvenir du moment où elle est morte, lorsque la vie a disparu. Cependant, elle prend déjà des petites libertés, elle triche un peu et apprend à vivre avec ce cadre (rimes croisées et pauvres, elle commence à raisonner) et à en sortir un peu (dizains aux vers 2 et 3, utilisation de plus d’accents sur les lettres utilisées).
3) La strophe 3 s’est adaptée, elle a appris à contourner l’obstacle. Elle a des occupations, elle s’amuse, elle sort de son cadre en y restant tout de même, joue avec ses libertés, déborde, s’arroge le droit d’utiliser d’autres lettres sous prétexte de les mettre entre crochets. Elle change les orthographes quand elle en a envie, les vers sont libres même lorsque c’est inutile (vers 2 et 3), elle ponctue avec violence. Les accents sont aussi beaucoup plus nombreux.
Matthieu Schmidt
Ce texte est tiré de la volée 2019-2020, animée par Éléonore Devevey.
Retrouvez tous les textes issus de cet atelier ICI.
Photo : ©profq1123
