Siku : le Grand-Nord comme on ne vous l’a JAMAIS conté !
Avant que le printemps ne chasse le froid (relatif) de l’hiver helvétique, la Parfumerie nous emmène dans… le Grand-Nord ! Mêlant arts du cirque, musique et réflexion, Siku, vie et mort au pôle Nord est une conférence décapante où rien ne se passe comme prévu – mais qui touche en plein cœur. Entre humour et poésie, du 18 février au 9 mars.
Une scène, presque aussi vide qu’une étendue de neige vierge. Côté jardin, une table de mixage, un tambour, un accordéon. Côté cour, un micro sur pied. Dans le fond, une mystérieuse structure de bois, qui s’avèrera être un traineau en kit. Et, au centre, deux voiles de bateau pendant du plafond, autour d’un mât suspendu à quelques dizaines de centimètres du sol. Voilà où nous emmène Siku : dans l’épure d’une odyssée qui n’a besoin que de notre imagination pour se déployer.
Vie, mort…
Soudain, quatre silhouettes sortent des coulisses. Ce sont les personnages de cette drôle de conférence illustrée, écrite et mise en scène par Frédéric Blin. Il y a le musicien (Xabi Eliçagaray), en toque de fourre et air ahuri ; le capitaine (Mauro Paganini), avec sa veste d’uniforme aussi blanche que la neige, qui va s’avérer cruciale pour créer la bande sonore du spectacle ; l’acrobate (Jade Morin), à la longue doudoune beige et aux mimiques délicieusement clownesques… et surtout, la porteuse de la conférence, la circassienne Jessica Arpin. C’est elle qui, entre français et inuktitut (une des principales langues inuites du Canada) va narrer ce Nord qu’elle connaît bien pour y avoir effectué trois voyages, entre 2007 et 2022.
Sitôt présenté·e·s, nos héros et héroïnes se retrouvent embarqué·e·s dans une tempête : leur bateau (les voiles et le mât pendu au plafond) est pris dans les glaces, dans le vent… Jade Morin s’accroche au mât, y tournoie sous les bourrasques de plus en plus violentes… Cette ébouriffante entrée en matière pose le cadre : dans l’Arctique, rien ne se passe jamais comme prévu, et la vie se retrouve souvent suspendue au fil du destin. D’exposés en sketchs, de chants en acrobaties, de projections de photos en anecdotes personnels, Siku raconte le Grand-Nord. Les premières expéditions à visée évangélisatrice ; les dangers du soleil sur la neige ; la meilleure manière de dépecer un phoque ; la morgue colonisatrice des explorateur·trice·s ; les croyances et les langues des populations inuites ; les amitiés nouées au-delà des différences culturelles…

… et absurde dans l’Arctique
L’exposé oscille entre histoire, anthropologie et géopolitique – sans jamais lasser. Et pour cause ! Sitôt Jessica Arpin au micro, ses trois collègues l’interrompent : qui un commentaire, qui une ponctuation musicale, qui une grimace… On éclate de rire devant les contorsions chorégraphiques du capitaine Mauro Paganini, qui tape sur les boutons de sa veste pour susciter toutes sortes de bruitages et sons montés en direct. On écarquille les yeux avec incrédulité avec les commentaires de Jade Morin (qui, en running gag, fait une fixette sur le nombre de langues que parle Jessica). On compatit avec Xabi Eliçagaray qui se voit contraint de ponctuer au banjo le récit tragique de la mort d’explorateurs célèbres (ou comment alléger l’ambiance sans y parvenir !). Pas de doute : les clowns veulent mettre leur grain de sel !
Malgré tout, Jessica Arpin tient la barre du bateau – et celle du micro. Pour maintenir le cap de sa conférence, elle prend sa revanche sur ces interruptions en imposant à ses collègues des mimes hilarants illustrant ses propos. Scène d’hypothermie et d’agonie par congélation (un grand moment !), imitation du loup, montage d’un traineau en kit (qui ne veut pas collaborer), démonstration de l’utilité des boîtes de conserve dans les premières expéditions… rien ne leur est épargné ! Grâce à ces quatre hurluberlus, Siku réussit son pari un peu fou : parler du Grand-Nord, le décrire et le faire aimer… en abordant les sujets sensibles (colonisation, appropriation culturelle, place des peuples autochtones) sans les rendre pesants.

Le cirque en Arctique
Siku est un spectacle qui nous scotche, parce qu’il nous emmène là où on ne l’attend pas. Et ce, jusqu’au dernier tableau qui oscille entre humour absurde et poésie circassienne. Dans une reconstitution de la banquise, chacune, chacun incarne désormais un animal emblématique du Grand-Nord. Vélo, acrobatie sur le mât du bateau, rubans… le cirque est là, au milieu du froid ! Le tout, sous les boucles musicales et le chant de Xabi Eliçagaray, qui improvise à l’accordéon des sonorités aussi étranges que mélancoliques.
Après les applaudissements, le spectacle se poursuit également dans le foyer du théâtre – car Siku n’est pas qu’une conférence illustrée qui parle du Grand-Nord. C’est aussi l’occasion, à travers une exposition mêlant photos, livres et récits de voyage, de faire connaître le projet Artcirq, auquel Jessica Arpin et Jade Maurin ont participé. Co-fondé en 1998 par le circassien Guillaume Saladin (dont le père, anthropologue, a étudié les populations inuites) et plusieurs artistes de cirque, Artcirq est un collectif qui propose aux jeunes de la communauté d’Iglouik (à Nunavut, au Canada) de se former aux arts du cirque (acrobatie, jonglerie, clown)… tout en y mêlant des traditions culturelles inuites (danse du tambour, chant de gorge, jeux traditionnels).
Vous l’aurez compris : Siku n’est pas une conférence illustrée comme les autres. Le mieux, c’est encore de vous en rendre compte par vous-mêmes. Cap sur le Grand-Nord, sans hésiter !
Magali Bossi
Infos pratiques :
Siku, vie et mort au pôle Nord, de Frédéric Blin, du 18 février au 9 mars 2025 à la Parfumerie.
Mise en scène : Frédéric Blin
Avec Jessica Arpin, Xabi Eliçagaray, Jade Morin, Mauro Paganini
https://www.laparfumerie.ch/evenement/siku
Photos : © Fanchon Bilbille