Le banc : cinéma

Spiral : L’Héritage de Saw – Boucherie au commissariat

Une grande ville américaine voit une série d’assassinat rappelant le mode opératoire du légendaire Jigsaw. L’enquête est confiée à l’inspecteur Ezechiel “Zeke” Banks, interprété par Chris Rock dans le rôle d’un policier intègre mais en mal avec le reste de ses collègues. Neuvième film appartenant à la franchise Saw, nous retrouvons Darren Lynn Boseman, réalisateur des volets 2, 3 et 4 de la série, aux manettes.

L’univers des Saw se définit de manière assez claire : nous voyons tout au long des films différentes personnalités au passé trouble mises à l’épreuve par Jigsaw, maître du jeu machiavélique et sadique. Celui-ci offre à ses victimes un choix assez… radical: soit celles-ci résolvent ses énigmes dans le temps imparti soit l’un des participants meurt. Les solutions proposées impliquent généralement que les participants se mutilent, sacrifient l’un des leurs, etc. L’accent mis sur une représentation la plus graphique possible des tortures infligées, parfois (souvent) au détriment de la trame du film, est sans aucun doute l’une des raisons du succès populaire et au box-office de la franchise.

Ce rappel peut s’avérer superflu tant l’univers a marqué les années 2000 et 2010. L’explosion du concept des escape game peut lui être notamment attribué dans une certaine mesure. Toutefois il est utile afin de mettre Spiral en perspective avec ses prédécesseurs. Disons-le tout de suite, si Spiral: L’Héritage de Saw appartient au même univers, il n’est ni la suite de Saw 3D: Final Chapter (2010) ni de Jigsaw (2017). Ce film a la volonté d’ouvrir une nouvelle voie afin de relancer une franchise qui s’était quelque peu essoufflée due à sa surexploitation commerciale et, malgré Jigsaw, plus ou moins inactive depuis 2010. Le virage s’opère alors tant au niveau esthétique que du traitement de l’histoire.

La souffrance subie par les victimes nous est d’habitude gracieusement offerte dans les moindres détails, y compris les plus sordides. Cette insistance a valu à la franchise l’étiquette plus ou moins assumée de torture-porn. À ce niveau, Spiral lève le pied. Malgré les quelques scènes de torture, le plus gros de leur exécution est omis ou suggéré comparativement aux autres films. Si l’on reste sur du gore, force est de constater que Boseman a mis de l’eau de son vin. N’oublions pas ici que c’est à lui que nous devons certaines des scènes qui figurent parmi les plus iconiques moments de tendresse de la série tels que le plongeon dans la fosse à seringues, l’arrachage de joue d’un poteau gelé ou le préféré de l’auteur de cette critique ; l’arrachage de cuir chevelu. L’histoire occupe habituellement une position secondaire et vise à créer un contexte permettant de susciter une empathie pour Jigsaw vis-à-vis des violences infligées à ses victimes. Hormis une ou deux scènes où l’on tire la langue, Spiral opère en ce sens un virage à 180 degrés.

Écrite par Josh Stolberg et Pete Goldfinger, déjà à l’œuvre pour Jigsaw, l’histoire est cette fois nettement privilégiée aux excès de violence. On y suit l’inspecteur Zeke enquêtant sur une vague d’assassinats frappant le département de police et dont le mode opératoire suit celui de Jigsaw, décédé 10 ans auparavant. Très vite, on se rend compte que malgré l’inspiration, l’assassin a d’autres desseins pour Zeke. Ce-dernier est épaulé par son père, figure légendaire de la police locale jouée par un Samuel L. Jackson plus dans son propre rôle que dans celui du père. L’analogie avec les autres films se limite toutefois à la mention de Jigsaw et l’usage d’énigmes. Celles-ci n’occupent pas la même place que dans les opus précédents. En effet, l’importance accordée tant au niveau esthétique que temporelle est fortement diminuée. La tension provoquée par le choix quasi-impossible des participants et qui s’avérait être l’une des attractions principales de la série s’en retrouve absente. Nous suivons en effet Zeke dans sa poursuite contre le meurtrier sans trop s’attarder sur les scènes de crimes elles-mêmes. Au niveau de l’ambiance générale, on se rapproche plus de Se7en que du reste des Saw. Toutefois, le résultat final peine à convaincre tant le scénario présente des lacunes et le jeu des acteurs est quelconque. Spiral est encore tributaire de la médiocre qualité des Saw pour pouvoir achever cette comparaison.

Cependant, Spiral offre un aspect intéressant : celui d’évoquer la question du Black Live Matters dans un film d’horreur. La mention est en effet subtile en le sens que la communauté afro-américaine n’est pas explicitement mentionnée mais certains points soulevés tout au long du film permettent d’abonder en ce sens. Mentionnons ici que Spiral est à l’origine basée sur une idée générale de Chris Rock et que le projet fut lancé en 2018 et le tournage a eu lieu entre début et fin 2019. À ce moment, le mouvement existe déjà depuis plusieurs années et établit certaines de ses revendications (BLM n’a pas commencé avec les meurtres de Breonna Taylor et George Floyd). L’un des objectifs premiers du mouvement est la réforme du système policier américain jugé responsable des abus des représentants des forces de l’ordre sur la population afro-américaine. À ce titre, l’un des éléments récurrents de Spiral est la mention de l’Article 8 du code de police ayant permis de nombreuses dérives et bavures sans que les responsables ne soient jugés. Les codes de police diffèrent d’état en état et les créateurs successifs de Saw se sont toujours fait un point d’honneur à ne pas révéler le lieu exact de l’histoire. Il devient donc difficile d’établir le code auquel le film fait exactement référence. Toutefois l’article 8 du code du NYPD stipule qu’aucun policier ne doit être arrêté ni interdit d’exercer tant que sa culpabilité n’aura pas été établie à travers une série de procédures[1]. Compte tenu que la haine et le mépris que subit Zeke sont dus à une dénonciation de sa part ayant conduit au renvoi et l’emprisonnement de son ancien coéquipier, ce parallèle semble plausible.

Les films d’horreur sont l’occasion d’offrir un exutoire aux spectateurs et d’accomplir une catharsis vis-à-vis de sujets nous ayant marqué négativement. Les films Saw en sont un parfait exemple. Les victimes de Jigsaw ne sont jamais totalement innocentes. Il s’agit la plupart du temps d’assureurs malhonnêtes, de repris de justices, de violeurs ou encore de meurtriers ayant été acquittés. Que le choix des victimes se porte principalement sur des policiers à l’un des moments où ceux-ci font face aux plus importantes critiques de leur histoire peut difficilement relever du hasard, surtout lorsque l’on connaît l’engagement de Chris Rock vis-à-vis de ce sujet.

En définitive, Spiral: L’Héritage de Saw se propose de relancer la franchise dans un nouvelle direction moins gore et plus orientée sur la trame. Spiral se veut être un thriller psychologique teinté d’humour. Cette prise de risque mérite d’être salué tant remettre en cause une recette si bien établie paraît relever de la gageure. Toutefois, ce nouvel arc narratif présente malheureusement trop d’imperfections inhérentes aux séries B. Le scénario est en effet trop télescopé pour pouvoir laisser place à la surprise nécessaire dans ce genre de film. Malgré le casting le plus conséquent de toute la série, les acteurs ne parviennent pas à convaincre. En d’autres termes, si le film ne présente alors pas les aspects recherchés par les fans de la franchise, il ne parvient pas non plus à s’en affranchir totalement. On a donc le sentiment de se retrouver devant un produit hybride où l’impression que les créateurs n’ont pas réussi à trancher complètement entre les deux univers prédominants. À voir donc pour les fans inconditionnels mais pas essentiel pour le reste.

Alexandre Tonetti

Référence : Spiral: L’Héritage de Saw, de Darren Lynn Boseman, avec Chris Rock, Samuel L. Jackson, Max Minghella, États-Unis, 2020 (sortie en salles le 21 juillet 2021)

Photo : © DR

[1] https://www.nysenate.gov/legislation/laws/VIL/8-804

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *