Les réverbères : arts vivants

The Glass Room : comprendre la crise par l’Histoire

Jusqu’au 20 mars, la Cie Kaleidos fait escale au Théâtre du Loup pour parler des relations ô combien complexes entre les États-Unis et l’Iran. À travers le prisme de l’Histoire, ils reviennent principalement sur la crise des otages de 1979, de façon pédagogique, comique, et pourtant très complète !

Les relations entre les États-Unis et l’Iran sont tendues depuis bien longtemps. Entre ingérences, liens économiques, krach boursier, changements de pouvoir à la tête des deux puissances, l’Histoire est compliquée ! Le paroxysme a sans nul doute été atteint en 1979, lorsque 52 diplomates américains sont retenus au sein de leur Ambassade par un groupe d’étudiants iraniens. Tout cela pendant pas moins de 444 jours, soit la plus longue prise d’otage de l’Histoire. Dans The Glass Room, le trio composé de Roland Gervet, Simon Labarrière et Diane Muller revient sur ce qui a conduit à cette crise à travers plusieurs épisodes clés, jusqu’à la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. En passant par cette fameuse Glass Room, une chambre de verre secrète au sein de l’Ambassade devenue aujourd’hui musée antiaméricain, surnommé « Nid d’espions ». C’est d’ailleurs cette Glass Room qui se tient au centre de la scène, comme un lieu mystérieux, voire mythique, dans lequel on ne sait trop qui se passe, mais qui attire pourtant notre regard…

Rendre l’Histoire accessible

Faire tenir autant d’événements en 1h15 n’était pas une chose aisée ! De ce point de vue, la metteure en scène Leili Yahr s’en sort avec un certain brio. Beaucoup de personnages historiques sont convoqués – divers dirigeants iraniens, des otages de 1979, une étudiante choisie comme porte-parole du groupe… – tandis que certaines grandes institutions dont le rôle est loin d’être anodin sont personnifiées pour rendre les événements plus clairs. On pense ici à la représentante de l’APOC (Anglo-Iranian Oil Company) devenue ensuite BP (British Petroleum) qui a instigué pour amener Haj Ali Razmara au pouvoir et obtenir divers avantages sur le pétrole iranien. On le comprend bien vite, les intérêts du peuple iranien n’ont de loin pas toujours été au centre des préoccupations des dirigeants…

Pour autant, The Glass Room ne s’apparente pas à une conférence historique. En mêlant à la grande Histoire des récits de personnages fictifs, inspirés d’événements réels, tout en rappelant également le lien que les comédien·ne·s entretiennent avec le pays, le spectacle de Leili Yahr donne à entendre divers points de vue. On rencontre ainsi un des preneurs d’otages, qui n’avait pas prévu d’être là, ou encore un jeune Iranien d’aujourd’hui et les difficultés qu’il rencontre en raison de l’embargo et de la politique anti-américaine. The Glass Room, avec ses extraits d’archives, ses témoignages, mais aussi sa part de fiction, dépasse ainsi la limite du théâtre documentaire. Une manière de simplifier l’Histoire pour la rendre accessible, sans pour autant en occulter des parties, et en tentant de rester le plus neutre possible.

Ajouter une dimension comique

Les propos rapportés dans le spectacle peuvent paraître graves. Au vu de leur importance historique, on ne peut nier qu’ils le sont. Toutefois, la Cie Kaleidos parvient à alléger le ton de la pièce en y ajoutant des aspects plus comiques. Il en va ainsi de certains accents, comme celui, so british, de la représentante de l’AIOC. Certains traits de caractères ont également été un peu grossis, comme les problèmes de santé de Mohammad Mossadegh, qui se présente toujours en pyjama car souvent alité, ou encore l’ambition de Haj Ali Razmara, chez qui le pouvoir a un petit peu trop tendance à monter à la tête… et cela fonctionne bien, pour atténuer la gravité de la situation !

On en oublierait presque de citer le rôle de la Suisse dans tout cela. On le sait, notre pays a souvent joué un rôle de médiateur dans diverses crises internationales. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Et pourtant… on assiste à plusieurs réunions de trois représentants helvétiques – un·e de chaque région linguistique, excepté le romanche – au fil des ans. Ils se congratulent pour l’excellent rôle qu’ils ont joué, avec des attitudes et des accents plutôt caricaturaux. Un humour qui n’est pas sans rappeler celui des deux Vincent de 120 secondes. On comprend bien vite, avec le côté un peu ridicule de ces trois personnages, que le rôle de la Suisse n’a peut-être pas été aussi important qu’on pourrait le penser, et qu’elle a davantage fait acte de présence qu’agi réellement face à ces deux grandes puissances qui n’écoutent finalement qu’elles-mêmes… Voilà pour mon hypothèse sur le rôle de ces trois personnages. Ils sont surtout parvenus à faire rire le public, et les comédien·ne·s le sentent bien, en en rajoutant toujours un peu plus. Pour autant, c’est sur ce point-là qu’un bémol est à souligner : à aller trop loin dans ce côté décalé, on peine à se remettre dans la bonne émotion pour la fin plus sérieuse et grave de la pièce. Alors qu’on nous présente la situation de la jeunesse iranienne aujourd’hui, qui peine à exister comme elle le souhaiterait, on est encore dans l’énergie comique qui a précédé, et on ne mesure pas totalement la gravité de ce qui nous est dit. On aurait apprécié un peu plus de finesse dans le passage précédent, pour résonner encore mieux avec le reste du spectacle qui, pour le coup, n’en manque pas !

The Glass Room, c’est un spectacle à voir, important pour comprendre les enjeux du monde qui nous entoure. Et même si les deux nations dont on parle nous semblent loin de nous, leurs relations ont beaucoup plus d’influence sur nous qu’on ne pourrait le penser. Un spectacle qui résonne d’ailleurs étrangement dans l’actualité de ces dernières semaines…

Fabien Imhof

Infos pratiques :

The Glass Room, d’après le texte de Diane Muller, du 16 au 20 mars 2022 au Théâtre du Loup.

Conception et mise en scène : Leili Yahr

Avec Roland Gervet, Simon Labarrière et Diane Muller

https://theatreduloup.ch/spectacle/the-glass-room-2022/

Photos : © Sébastien Monachon

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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