Le banc : cinéma

The Roads Not Taken de Sally Potter : le passé en impasse

Avec The Roads Not Taken, la réalisatrice anglaise Sally Potter nous emmène à New York, dans la vie d’un homme atteint dans sa santé mentale. Sa fille lui tient compagnie le temps d’une journée, qui prendra rapidement une tournure dramatique.

Le film s’ouvre sur un écran noir. Une sonnette retentit à plusieurs reprises sans réponse, puis c’est la sonnerie du téléphone qui prend le relais, en vain.
Leo (Javier Bardem), la cinquantaine, gît les yeux hagards sur un lit dans la moiteur d’un appartement peu accueillant. Il entend le téléphone sonner mais n’y répond pas, plongé dans des pensées qui semblent trop intrusives pour répondre à d’autres sollicitations.
Peu après, sa fille Molly (Elle Fanning), la vingtaine, surgit dans l’appartement de son père, visiblement inquiète de ne pas avoir pu le joindre. Elle parviendra à grand peine à le faire sortir de chez lui pour l’emmener à des rendez-vous médicaux. Mais ce qui devait ressembler à une journée banale s’avèrera un véritable chemin de croix pour les deux personnages.

Un rythme lent ponctué de flashbacks

Qu’en est-il de l’état mental de Leo ? Le personnage principal souffre d’une démence précoce qui l’immerge dans une sorte de torpeur, entrave ses mouvements, son élocution et a finalement raison de son indépendance. Qu’est-ce qui a bien pu causer cet état ? Durant tout le film, la réalisatrice cherche à y répondre en nous ouvrant grand la porte des pensées de Leo. Il est cependant difficile de s’y retrouver : fantasmes, réalité, présent et passé s’entremêlent quitte à faire perdre le fil au spectateur.
D’emblée la dimension temporelle frappe. D’incessants flashbacks dont on ne saura jamais vraiment s’ils ont été vécus ou rêvés par Leo l’emmènent à travers trois décennies d’un passé trouble au début duquel on devine qu’un drame a eu lieu. Paradoxalement et comme pour accentuer le côté pesant de la maladie, l’histoire présente ne se déroule, quant à elle, que sur une seule journée.
Tout au long de celle-ci, deux périodes de son histoire se rappellent en boucle à Leo. Un passé au Mexique d’abord, le replonge dans une vie passionnée avec sa première femme, Dolores (Salma Hayek). Un passé moins lointain, en Grèce, présente ensuite Leo en écrivain tourmenté par une incommensurable mélancolie. Ces deux pans de son histoire serviront de supports à la trame de ce drame de 85 minutes.

Des personnages à fleur de peau

L’idée d’explorer le spectre de la maladie mentale en usant à plusieurs reprises de la caméra subjective pour plonger le spectateur au plus près des ressentis de Leo est efficace car on est véritablement pris dans un dédale de pensées et de projections. Mais le choix de la réalisatrice de ne montrer de son personnage principal que les aspects sombres de sa vie, occasionne par conséquent un singulier manque de légèreté qui serait pourtant bienvenue pour casser une atmosphère constamment lourde. Et cette mélancolie permanente de Leo empêche paradoxalement aussi le spectateur de ressentir de l’empathie pour ce personnage totalement replié sur lui-même. Comment était cet homme avant sa maladie ? A-t-il du tout déjà été heureux ?
Javier Bardem prête en effet ses traits à un personnage emprisonné dans ses propres pensées. Par nécessité pour le rôle, son jeu est surtout constitué de mimiques et d’un balbutiement incompréhensible qui témoignent de l’état catatonique de Leo. Cela pourrait s’avérer frustrant pour le spectateur habitué à la finesse de ses interprétations, comme lorsqu’il incarne un homme à la personnalité contrastée dans Vicky Cristina Barcelona (2008). Les quelques moments tendres entre Leo et Molly peinent à pallier ce manque de présence. À moins que ce ne soit justement là tout l’art de son jeu : se fondre si bien dans son rôle qu’il réussit ainsi à se départir de tout le charme qu’on lui prête par ailleurs.
Le personnage campé par Elle Fanning est tout à fait déconcertant. Habituée à se glisser dans une variété de personnages allant de la jeune ingénue (A Rainy Day in New York, 2019) au personnage complexe et évolutif (The Neon Demon, 2016), l’actrice incarne, dans The Roads Not Taken, une jeune femme extrême de loyauté et d’amour inconditionnel pour son père. Molly est si soucieuse de ses moindres faits et gestes, à l’instar d’une mère pour son enfant, que cela finit par paraître peu crédible. Serait-ce une volonté de la réalisatrice ? L’ultime scène du film pourrait en tout cas relativiser l’angélisme éperdu de ce personnage.
Quant aux rôles secondaires, on ne peut que regretter leur rareté à l’écran. Salma Hayek, en particulier : en première épouse de Leo, elle amène au film une touche sinon d’optimisme au moins de vie. Sa robe est d’un rouge aussi écarlate que la vie de Leo est terne. Avec Laura Linney dans le rôle de la seconde épouse, elles constituent le poumon qui permet au film de reprendre par moments son souffle.
Outre ce passé qui semble expliquer l’état actuel de Leo, le thème du racisme contre les Mexicains est également abordé mais trop brièvement pour amener une véritable réflexion autour du sujet. Leo se sent-il persécuté en tant qu’immigrant sur sol américain ? Cela occasionne-t-il un impact sur sa maladie ? On n’en saura pas plus.

Ce film en sélection à la Berlinale 2020, questionne la responsabilité qu’engendrent les choix de vie et l’impact de ceux-ci sur la dégénérescence mentale. Il ne ravira probablement pas les spectateurs à l’aise avec un fil narratif linéaire, tant ces allers-retours temporels leur feront tourner la tête. Le film trouvera en revanche peut-être un écho positif chez ceux dont la thématique de la maladie dans une perspective de rôles familiaux inversés pourrait intéresser. Basée sur la propre expérience vécue par la réalisatrice avec son frère, il est de ces films personnels qui toucheront sûrement avant tout ceux ayant un vécu similaire.

Valentine Matter

Référence :

The Roads Not Taken, Sally Potter (sortie en salle le 12 août 2020)

Photo : https://cineuropa.org/fr/newsdetail/386029/

Valentine Matter

Cinéphile éprise du genre documentaire, Valentine n’en apprécie pas moins la fiction et ne résiste certainement pas aux comédies grinçantes. Sa formation de psychologue entre plus volontiers en résonance avec les personnages lorsqu’ils sont complexes et évolutifs.

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