Les réverbères : arts vivants

Train en retard, amour à l’heure ?

Un quai de gare. Un père et sa fille. Le père qui aborde un autre homme. L’amour qui semble poindre. La voix de la SNCF qui s’immisce au milieu de tout cela. Voici, en substance, l’intrigue de Comédie sur un quai de gare, jusqu’au 28 janvier au Théâtre Alchimic.

Le père de Michèle doit monter à Paris pour faire examiner ses poumons. Sur le quai de la gare, il aborde un jeune homme du nom de Vincent pour lui demander ce qu’il pense de sa fille, assise sur le banc d’à-côté. Puisqu’il est temps qu’elle commence à vivre pour elle, le père s’active à lui trouver l’homme de sa vie. Michèle et Vincent commencent par faire connaissance et partagent un café à la machine, avant d’envisager, peut-être, de faire un bout de chemin ensemble. Il est temps pour Michèle d’apprendre à s’épanouir, loin de son père…

Un début comme un vaudeville

Pendant la première partie du spectacle, l’humour est très présent. Sans être toujours très fin, il embarque le spectateur dans des dialogues remplis de quiproquos qui ne sont pas sans rappeler le vaudeville. Le père cache ainsi d’abord au jeune homme que la femme dont il lui parle est sa fille. La discussion entre les futurs amoureux peine à décoller, malgré les conseils avisés du père pour engager la conversation… Les personnages paraissent stéréotypés, entre ce père qui veut tout contrôler, ce jeune homme un peu perdu et qui n’a rien demandé, et cette jeune femme qui joue le jeu du père, en jouant les innocentes. Comédie sur un quai de gare, un vaudeville ? Il n’en est rien. La disposition scénique, en bi-frontal, indique le contraire. Ce dispositif permet une immersion totale du spectateur, puisque le quai sur lequel se passe l’action est au centre du champ de vision. Les acteurs sont ainsi épiés de tous côtés et leur seule échappatoire est un retour dans le hall, sis dans les coulisses. Le spectateur est ainsi un peu voyeur, à l’image de la voix de l’hôtesse de gare, qui, s’ennuyant un peu, décide de s’immiscer dans les conversations, voire de favoriser le potentiel échange amoureux. Avide de ragots et d’histoires croustillantes, elle tente d’en savoir plus sur la vie de chacun. Ce subtil procédé remplace les descriptions, impossibles à développer sur scène, en donnant plus de profondeur aux personnages.

Un spectacle tendre et poétique

Bien vite, l’humour s’affine, laissant la place à l’intimité des personnages. La relation entre le père et sa fille, qui pourrait d’abord paraître malsaine, prend tout son sens. Michèle est somme toute le seul lien qui subsiste entre le père et feu son épouse. Alors, pour que son amour survive, il a tout donné à sa fille pour qu’elle soit heureuse. Une sorte d’amour par procuration, peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’il veut désormais qu’elle prenne enfin son envol. Alors quand Vincent, nouveau propriétaire d’un troquet parisien, croise sa route… Vincent est interprété par le toujours aussi excellent Ludovic Payet qui, par son jeu tout en douceur, semble d’abord montrer une grande naïveté chez son personnage. Cette naïveté révèle surtout une profonde gentillesse, chez cet homme qui n’a pas pu donner d’amour pendant plus de trente ans et décide, dès lors qu’il le peut, de tout faire pour rendre une femme heureuse. Sans tomber dans les clichés ou l’excès, ce personnage s’avère touchant. On se retrouve en lui, on a envie qu’il soit heureux, tout simplement. Et puis, il y a Michèle. D’abord froide, elle paraît insensible aux avances du jeune homme. Dure également avec son père (qui doit éviter le sucre), sa carapace se brise petit à petit. Se révèle alors une grande douceur, mais aussi une peur d’être heureuse, de devenir égoïste en abandonnant son père, alors qu’il n’en est rien…

Car Comédie sur un quai de gare, c’est surtout cela : une pièce sur les rapports humains, parfois complexes. Une pièce sur les rapports familiaux aussi, sur les mauvaises interprétations qu’on fait parfois, sur les peurs irrationnelles qu’on peut avoir. Une pièce qui nous rappelle aussi que penser à soi ne veut pas dire arrêter de penser aux autres. Une pièce qui tend vers des valeurs simples et pourtant indispensables. Une pièce très humaine, en somme.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Comédie sur un quai de gare de Samuel Benchetrit, du 9 au 28 janvier 2020 au Théâtre Alchimic.

Mise en scène : Daniel Vouillamoz

Avec Sabrina Martin, Ludovic Payet, Thierry Piguet et la voix de Brigitte Rosset

https://alchimic.ch/

Photo : © Edgard Monnerat

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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