Les réverbères : arts vivants

Un chef-d’œuvre pour sauver le Théâtre ?

Avec Une Création Originale, la Compagnie Confiture présente une comédie surprenante, qui en dit plus qu’on ne le croirait sur le milieu théâtral et artistique. À voir au Théâtres des Salons, jusqu’au 25 mai.

Léopold (Gaspard Boesch), directeur du Théâtre du Balcon est au bord du précipice : son Théâtre risque de perdre sa subvention. Qu’à cela ne tienne, il a trouvé le moyen de le sauver ! Constance (Caroline Cons), LA grande actrice régionale, a accepté de jouer dans la nouvelle pièce qu’il va produire, écrite par une jeune autrice prometteuse : Gloria Belzenore (Sybille Blanc). Mais alors que les répétitions doivent commencer, le texte n’est toujours pas écrit, le metteur en scène, meilleur ami de Léopold, est parti se retrouve en Amazonie, et la soi-disant grande actrice est en perte de vitesse, un état de fait qu’elle a du mal à accepter. Sans compter l’ex-femme éconduite de Léopold, qui pourrait avoir un rôle à jouer dans cette histoire. Derrière ce texte qui paraît cousu de fil blanc, les jeux de manipulation et l’éclatement de vérités inattendues nous livrent les coulisses d’un milieu bien étrange…

Jouer avec la réalité

Alors que le spectacle s’apparente d’abord à un Vaudeville contemporain, on se rend rapidement compte que cela va bien plus loin. Ce qui nous met la puce à l’oreille ? Gloria Belzenore est non seulement l’autrice censée écrire le chef-d’œuvre qui sauvera le Théâtre de Léopold, mais elle est également celle d’Une Création Originale, le spectacle auquel nous assistons. Cette dimension méta, subtilement annoncée – il fallait bien lire l’affiche pour s’apercevoir de la similitude entre les deux noms – nous raconte d’emblée que nous allons jouer sur deux tableaux, en mêlant réalité et fiction. Subtilement, précisons-nous, car cela ne se voit pas vraiment dans les deux premiers tiers de la pièce : les quiproquos et autres cachotteries s’enchaînent, Léopold et Gloria tentent de faire bonne figure en proposant un texte à Constance. Manque de chance, celui-ci ne l’emballe pas, mais elle propose de nouvelles idées, qu’on tente de suivre. Cela donne lieu à des répétitions d’un spectacle complètement loufoque, sans queue ni tête, où Léopold se retrouve à incarner un jeune premier séduisant, malgré son âge et sa bedaine. Décidément rien ne va, et l’on craint que cette Création Originale ne se perde dans un étrange bourbier. Jusqu’à ce que…

Jusqu’à ce que tout s’arrête, et que Gloria – ou est-ce Sybille Blanc ? On ne le sait plus ! – ne demande au public d’intervenir, par un procédé qu’on ne peut dévoiler ici, mais qui fera basculer le spectacle dans une toute autre dimension. Suite à cela, plus d’humour loufoque : les personnages procéderont désormais à une introspection profonde, manipulés qu’ils sont par celle qui a tout orchestré depuis le début. Et force est de constater que le public, lui aussi, se fait berner. On ne sait même plus si les comédien·ne·s sont véritablement au courant de ce qui se passe ou non, bien qu’on imagine que oui. Mais la frontière entre réalité et fiction est si ténue, que l’incompréhension et la surprise des personnages semble déteindre sur tout le monde.

Au jeu de la vérité

S’ensuit, donc, une introspection de la part des personnages. Et à travers elle, c’est toute leur morale qui est interrogée. On y retrouve le pire de chacun d’eux. On comprend que Léopold est avant tout attiré par le succès et les jeunes femmes, mais que cela lui a coûté son couple, et que, depuis, il fait tout pour récupérer Rébecca… Constance, quant à elle, est à la recherche de sa jeunesse et de sa gloire perdue, n’acceptant pas de vieillir et de devoir désormais jouer d’autres rôles. Elle se persuade d’ailleurs de pouvoir à elle seule sauver le spectacle. Enfin, Gloria, la mystérieuse Gloria, nous révèle son passé avec Léopold, qu’elle n’a pas vraiment digéré, et la vengeance qu’elle prépare depuis une quinzaine d’années. Si les personnages sont très typés, vaudeville oblige, ils n’en demeurent pas moins des métaphores de ce qui peut se passer au sein des milieux artistiques, ou ce genre d’histoire mêlant conflits d’intérêts et amant·e·s éconduit·e·s conduisent à certains problèmes.

D’une certaine manière, les voilà puni·e·s par la force des choses, et par la manipulation, ne l’oublions pas ! Dans Une Création Originale, quelques noms sont également évoqués pour bien ancrer l’histoire dans notre réalité. Rassurez-vous, personne n’est dénoncé ou accusé de quoi que ce soit : on apprend par exemple que Constance a refusé de jouer dans le spectacle de deux metteurs en scène bien connus pour rejoindre Léopold dans son projet ; ou encore que ce qu’écrit Gloria rappelle un autre auteur reconnu dans la Cité de Calvin. En ce sens, Une Création Originale appuie cette dimension méta évoquée précédemment, en l’inscrivant dans notre réalité, pour finalement réfléchir aux milieux artistiques de manière plus générale. Mais rassurez-vous, la vérité finira par triompher et tout est bien qui finit bien. Quant à savoir comment, concrètement, il faudra assister au spectacle pour le savoir.

Fabien Imhof

Infos pratiques :

Une Création Originale, de Gloria Belzenore et la Compagnie Confiture, du 20 au 25 mai 2025 au Théâtre des Salons.

Mise en scène : Lorenzo Gabriele, assisté de Félicia Baillifard

Avec Sybille Blanc, Caroline Cons et Gaspard Boesch

https://theatre-confiture.ch/

Photos : ©Michel Marie

Fabien Imhof

Titulaire d'un master en lettres, il est l'un des co-fondateurs de La Pépinière. Responsable des partenariats avec les théâtres, il vous fera voyager à travers les pièces et mises en scène des théâtres de la région.

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